L'endométriose

L’Endométriose.

Jean-Philippe Lucot

Service de Gynécologie Obstétrique

Centre Hospitalier de Béthune

 

L’endométriose est définie par la présence ectopique de tissu endométrial, en distinguant l’endométriose superficielle (implants péritonéaux) et l’endométriose profonde (implants sous péritonéaux > 5 mm de profondeur). Différents mécanismes physiopathologiques ont été proposés, mais aucun ne répond seul aux différentes formes observées, et aucune explication n’est fournie pour expliquer l’augmentation actuelle d’incidence de la maladie. L’endométriose est une maladie multifactorielle, résultant de l’action combinée de facteurs génétiques et environnementaux, et de facteurs liés aux menstruations. L’exposition aux menstruations (premières règles précoces, volume menstruel important, cycles courts) est associée à la présence d’endométriose. Le risque de développer une endométriose pour les apparentées au premier degré est cinq fois plus élevé que dans la population générale. Néanmoins, il n’existe pas de données permettant de donner des conseils en prévention primaire de la maladie. Des classifications ont été établies pour définir des stades de la maladie, essentiellement sur des critères de distorsion anatomique (adhérences, kystes ovariens, extension des lésions), allant du stade 1 (légère) au stade 4 (sévère).

L’endométriose pose schématiquement 3 problèmes/symptômes : les douleurs, l’infertilité, et l’atteinte d’organes.

On observe un retard très important au diagnostic, les études rapportant de nombreuses consultations avant que le diagnostic ne soit posé, ce qui est regrettable car les patientes souffrent et sont exposées à des complications qui peuvent être sévères.

La prise en charge va dépendre du (des) symptôme(s) prédominants, et du contexte (âge, désir de grossesse etc). Elle repose donc sur un diagnostic cartographique lésionnel le plus précis possible, et sur des entretiens répétés (et souvent prolongés) afin d’entendre les plaintes et demandes des patientes, mais aussi afin de leur transmettre les informations nécessaires. La stratégie thérapeutique étant parfois complexe, les possibilités et les enjeux de la prise en charge proposée devront être explicités, et il faudra s’assurer de la bonne compréhension. En amont, il est recommandé les dossiers soient discutés en réunion pluri-disciplinaire spécialisée.

La douleur :

Elle est un des modes de présentation les plus fréquents. Le critère sémiologique principal est la rythmicité des douleurs avec les règles : dysménorrhée.  Celle-ci est le plus souvent secondaire, et a tendance à s’aggraver. La dysménorrhée est cependant un symptôme fréquent, et il ne faudrait pas tomber dans un sur-diagnostic excessif. Certains critères doivent faire considérer comme « anormale » la dysménorrhée (évaluation numérique > 7, nécessité de s’aliter, arrêt de travail, dyspareunie profonde, résistance aux antalgiques de niveau 1) et doivent faire évoquer le diagnostic. C’est après plusieurs années d’évolution que des phénomènes douloureux chroniques apparaitront. Les douleurs dépendent de la localisation des lésions. La dysménorrhée à type de brûlures pelviennes est le principal symptôme.

Certains symptômes évoquent une endométriose profonde et doivent être recherchés. En cas de localisation sur la face postérieure de l’isthme utérin ou sur les ligaments utéro sacrés, il existe souvent des irradiations sacrées postérieures ainsi qu’une dyspareunie profonde. En cas localisation digestive, essentiellement rectale, la patiente décrit des ténesmes, des irradiations anales, mais il existe aussi des lésions iléo-caecales symptomatiques. En cas de localisation vésicale ou dans le cul de sac vésico utérin, la patiente ressent des cystalgies, des brûlures mictionnelles sans infection urinaire retrouvée. De façon plus rare, des implants péritonéaux peuvent exister dans la gouttière pariéto colique droite ou la coupole diaphragmatique droite, occasionnant des douleurs à ce niveau. De façon encore plus rare, des lésions sous diaphragmatiques ou pleurales entrainent des hémothorax cataméniaux. L’interrogatoire doit donc rechercher l’ensemble des ces symptômes, ce qui permettra d’orienter les examens complémentaires, et en apprécier le retentissement. Cependant, on gardera à l’esprit que plusieurs études ne retrouvent pas toujours de corrélation entre l’extension de la maladie et l’intensité de la symptomatologie.

Il faut rechercher un phénomène de sensibilisation qui nécessitera une prise en charge algologique conforme aux recommandations de la HAS.

L’infertilité :

L’endométriose est fréquemment retrouvée chez les patientes infertiles, mais cela ne permet pas de conclure qu’elle soit responsable de la stérilité, ce d’autant que les mécanismes par lesquels l’endométriose serait responsable de stérilité ne sont pas clairement établis. En cas d’infertilité, un bilan complet devra être réalisé afin de ne pas méconnaitre une autre cause pouvant être traitée ou, au contraire, qui imposerait le recours d’emblée à la FIV-ICSI par exemple.

La notion d’un désir de grossesse ultérieure doit toujours être évoquée car elle oriente la conduite à tenir. Il faut rechercher d’autres facteurs d’infertilité (antécédents infectieux, appendicectomie compliquée, insuffisance ovarienne etc.) sans oublier d’interroger le conjoint et d’envisager la réalisation d’un spermocytogramme. Actuellement, la prise en charge en AMP en France est possible jusqu’au 43ème anniversaire de la femme. Il faut aussi penser à interroger le couple sur leur statut marital, car la loi française actuelle ne permet la prise en charge en Aide Médicale à la Procréation que pour les couples mariés ou pouvant justifier de plus de deux ans de vie commune.

Les atteintes d’organe :

Les lésions d’endométriose peuvent atteindre les organes essentiellement de voisinage, principalement la vessie, le vagin et le rectum, soit par « accolement » simple, soit avec une réelle infiltration pariétale. Outre les douleurs spécifiques (cf supra), ces atteintes peuvent se manifester par une hématurie cataméniale (difficile à confirmer), ou des rectorragies. L’atteinte rectale peut même être marquée par des épisodes sub occlusifs en période de règles. L’atteinte urétérale doit systématiquement être recherchée lors des examens complémentaires, car elle est le plus souvent asymptomatique alors qu’elle engendre une urétéro hydronéphrose pouvant amener à une perte silencieuse de la fonction rénale, parfois définitive.

Ces atteintes d’organes doivent donc être recherchées lors de la consultation et lors du bilan d’extension de la maladie. Elles sont responsables de symptômes douloureux spécifiques mais aussi de pertes de fonctions parfois gravissimes. Enfin, elles compliquent la prise en charge, imposant des gestes chirurgicaux lourds grevés de complications.

Examen clinique :

Cet examen bien entendu complet devrait être menée de façon idéale juste après les règles, ce qui permet de mieux percevoir et visualiser les lésions d’endométriose. L’examen au spéculum recherche des lésions cervicales mais surtout dans le cul de sac vaginal postérieur qu’il faut explorer même (et surtout) s’il est douloureux ; on visualise alors une zone rétractile avec des lésions kystiques bleutées caractéristiques. Leur absence n’élimine pas une lésion profonde rétro utérine. Le toucher vaginal recherche une rétroversion utérine douloureuse fixée, et on perçoit alors parfois la lésion d’endométriose rétro utérine. Il s’agit parfois d’une simple latéro déviation utérine, ou d’un aspect irrégulier des ligaments utéro sacrés. Un point sémiologique essentiel est que la palpation appuyée des ces lésions réveille une douleur identique à la dyspareunie profonde dont se plaignent les patientes. On recherche aussi une masse annexielle.

La consultation devra être menée avec le maximum de psychologie chez ces patientes jeunes, algiques et souvent infertiles sur lesquelles le diagnostic d’endométriose a un impact très important.

Examens complémentaires :

Le dépistage du cancer du col ne doit pas être oublié. La biopsie de lésions vaginales suspectes d’endométriose n’est pas réalisée car elle est très douloureuse et rarement suffisamment profonde pour poser le diagnostic.

Le principal examen consiste en la réalisation d’une échographie pelvienne par voie abdominale et vaginale, associée à un temps rénal. Cet examen permet de rechercher des signes directs (endométriomes essentiellement, adénomyose) ou indirects (médialisation rétro utérine des ovaires, rétroversion utérine, salpinx) d’endométriose. Un endométriome est exceptionnellement isolé et doit amener à la recherche d’une endométriose profonde. Les opérateurs plus entrainés peuvent repérer une lésion d’endométriose profonde, et même préciser le degré d’envahissement des organes de voisinage, et il est donc recommandé de faire appel à des opérateurs entrainés. L’étude des voies urinaires est indispensable pour éliminer une urétéro hydronéphrose silencieuse.

En cas de suspicion d’endométriose profonde, ou si l’échographie semble trop difficile, l’IRM est actuellement le meilleur examen pour la cartographie des lésions, permettant aussi de préciser le degré d’infiltration de la vessie et du rectum. En cas de probable infiltration, des explorations endoscopiques (cystoscopie, échographie endo anale) ou d’imagerie (colo-scanner) seront pratiquées (la coloscopie n’est pas recommandée). En vue d’une éventuelle prise en charge en AMP, un bilan de réserve ovarienne est indiqué (FSH, œstradiol, AMH et comptage folliculaire au 3ème jour du cycle).

 

A l’issue de l’interrogatoire, de l’examen clinique et des examens complémentaires, on connaît la localisation des lésions et leur degré d’infiltration, ainsi que le contexte de prise en charge (âge, désir de grossesse, intensité des douleurs, demandes de la patiente). Différentes stratégies thérapeutiques peuvent être envisagées, après en avoir longuement discuté en équipe et avec la patiente. Celles –ci restent cependant souvent du « cas par cas », les certitudes étant rares.

Traitements médicaux :

L’endométriose est œstrogéno-dépendante. Le but du traitement médical est de maintenir une hypo-œstrogénie comparable à celle de la grossesse ou de la ménopause. Différentes molécules sont utilisées, mais leur principal inconvénient est d’empêcher la survenue d’une grossesse pendant le traitement. Ils sont en revanche très efficaces sur les douleurs mais à l’arrêt il existe un risque de récidive de la maladie et de réapparition des symptômes. En première intention, on recommande l’utilisation des œstroprogestatifs (qui permettent de réduire l’intensité des douleurs même avec un schéma avec règles, mais leur prescription évolue de plus en plus vers un schéma sans règles) ou l’utilisation du système intra utérin au lévonorgestrel (MirénaÒ). Les macro progestatifs sont aussi efficaces, s’ils sont prescrits en continu ou au minimum 20 jours par cycle. Le Danazol n’est plus utilisé du fait de l’intensité des effets secondaires. Les analogues de la Gn-RH induisent une ménopause artificielle. Injectables, ils existent sous formes mensuelle ou retard (3 mois) mais ne doivent pas être prescrits plus de 6 mois du fait des risques d’ostéoporose induite. On recommande l’administration d’œstrogènes en complément (« Add-Back therapy ») qui diminue aussi les signes climatériques invalidants (bouffées vaso motrices, troubles du caractère, insomnies etc.).

L’indication d’un traitement chirurgical premier doit toujours être discutée.

Traitements chirurgicaux :

Le meilleur traitement pour soulager les douleurs est l’exérèse de l’ensemble des lésions d’endométriose. Le plus efficace est le traitement radical (hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale) ; inenvisageable chez les femmes jeunes, il constitue une excellente indication à partir d’un certain âge quand il n’y a plus de désir de grossesse.

Le traitement des lésions d’endométriose péritonéale superficielle repose sur l’exérèse ou l’électrocoagulation. Il permet de traiter les douleurs, et améliore la fertilité.

Les endométriomes ovariens doivent être traités par kystectomie, la ponction simple étant marquée par une récidive précoce. Toutefois, les conditions opératoires sont parfois telles que seule une ponction est envisageable. La kystectomie ovarienne est difficile car le plan de clivage de l’endométriome est adhérentiel et peut être hémorragique. Ceci expose à des lésions du parenchyme ovarien pouvant entrainer une insuffisance ovarienne si les kystectomies sont répétées, ce qui compromet la fertilité ultérieure. On évite donc les kystectomies itératives, en ne les réalisant qu’à partir d’une certaine taille, ou en leur préférant une ponction écho guidée avant traitement freinateur.

Le traitement des lésions d’endométriose profonde est beaucoup plus complexe, car il faut tenir compte des risques de complications per et post opératoires, de l’impact des gestes sur la fertilité, et du risque de récidive. Si une exérèse est prévue, elle doit être complète pour réduire le risque de récidive. L’intervention est alors pluri disciplinaire pour réaliser en fonction des cas: cystectomie partielle, résection digestive (focale ou segmentaire), réimplantation urétérale. Une iléostomie est préconisée lorsqu’il existe une ouverture vaginale et digestive. Celle-ci est refermée deux mois plus tard après contrôle de la qualité de l’anastomose.

L’état tubaire évalué en pré opératoire sera confirmé durant l’intervention. La recherche de la perméabilité tubaire par épreuve au bleu sera systématique. La réparation tubaire sera réalisée si besoin. En cas de salpinx de mauvais pronostic, une salpingectomie sera réalisée car elle améliore les chances de succès de la fécondation in vitro.

Toutes ces interventions peuvent générer des adhérences post opératoires préjudiciables (risque de ré intervention, impact sur la fertilité), et le recours à des procédés anti-adhérentiels est recommandé en association à une technique opératoire soigneuse.

 

Stratégie thérapeutique :

C’est la partie la plus difficile. Elle doit être décidée en réunion pluri disciplinaire en tenant compte de tous les paramètres pré cités et de la demande exprimée par la femme et le couple. Les certitudes thérapeutiques sont rares, et les habitudes de prise en charge varient selon les équipes. Il ne faut pas non plus oublier que le risque de récidive est toujours présent, et que son traitement en sera d’autant plus compliqué qu’une chirurgie lourde aura été réalisée préalablement.

Les endométrioses accessibles à une chirurgie sans grand risque de complications doivent être opérées d’emblée, ce qui permettra de traiter les douleurs et d’améliorer la fertilité. Un traitement médical complémentaire sera envisagé en fonction de l’immédiateté du désir de grossesse.

En cas d’endométriose sévère, profonde, avec atteinte rectale, il peut sembler qu’un geste chirurgical sera lourd, difficile, avec un risque de complications non négligeables et un impact probable sur la fertilité. Il peut alors sembler préférable, après accord de la patiente, de proposer une prise en charge en FIV d’emblée pour obtenir une grossesse « rapidement ». La grossesse permettra l’arrêt des douleurs jusqu’en post partum. La récidive est ensuite fréquente, mais la prise en charge est simplifiée du fait de la réalisation du désir d’enfant.

 

 

 

Stratégie de prise en charge initiale par le Médecin Généraliste :

Cette stratégie est résumée dans la figure ci dessous (document HAS- CNGOF RPC 2017).


 

Conclusion :

L’endométriose pose le problème de douleurs intenses et d’un risque d’infertilité, avec d’éventuelles lésions d’organes. La prise en charge doit être pluri disciplinaire en tenant compte de la demande de la patiente. La place du médecin généraliste est fondamentale pour aider à poser le diagnostic sans retard et prescrire les examens complémentaires initiaux. Son soutien est important pour aider la femme à comprendre la situation, les orientations thérapeutiques proposées, la soulager, et pour la soutenir dans la prise en charge de ce « cancer bénin ».