L'examen de l'épaule


 

Professeur  Carlos MAYNOU

CHRU de Lille

Service Orthopédie 3é étage

59037 LILLE Cedex

 

Si les douleurs de l’épaule peuvent avoir des causes extrêmement variables, elles ne résistent pas à un examen clinique méthodique qui permettra la plupart du temps une orientation diagnostique suffisante pour la prescription d’examens complémentaires adaptés.

On peut schématiquement distinguer deux grands cadres nosologiques représenté par les douleurs secondaires à une cause traumatique et les douleurs traduisant une étiologie dégénérative.

L’âge du patient comporte à lui seul une importance diagnostique fondamentale. Chez les patients jeunes, on recherchera préférentiellement une cause traumatique et plus particulièrement une instabilité gléno-humérale ou acromio-claviculaire en n’omettant pas la pathologie neurologique microtraumatique du sportif.

Après 40 ans, la pathologie dégénérative (arthrose) et les lésions tendino-musculaires affectant la coiffe des rotateurs sont les deux principales causes de douleurs.

Il faudra toujours garder à l’esprit la possibilité d’une étiologie tumorale avec pour corolaire la pratique systématique de radiographies standards de l’épaule avant tout autre examen complémentaire.

Deux diagnostics différentiels devront être systématiquement évoqués et recherchés par l’examen clinique, il s’agit du syndrome du défilé thoraco brachial et de douleurs irradiées en rapport avec une pathologie rachidienne. 

 

1- Démarche diagnostique

 

L’analyse d’une douleur chronique de l’épaule nécessite un interrogatoire précis, un examen clinique méthodique et un bilan paraclinique orienté.

 

A - Interrogatoire

 

Il précisera l’âge du patient, le sexe, le caractère dominant ou dominé du membre, les activités professionnelles et sportives.

 

Les caractères de la douleur seront précisées ;

 

-          Mode de début ; Progressif ou brutal

-          Circonstances déclenchantes ; Surmenage professionnel, activité sportive, notion traumatique, accident du travail.

-          Siège de la douleur ; Plus souvent antérolatérale, rarement postérieure, parfois diffuse mal précisée

-          Irradiations douloureuses ; Ascendantes vers la région latéro-cervicales évoquant une trapézalgie, descendantes à la face antérieure du bras jusqu’au coude traduisant une souffrance bicipitale. Les douleurs d’origine rachidienne se projettent le plus souvent dans la région inter scapulo vertébrale, selon les racines comprimées elles peuvent irradier à la face postérieure ou antérieure de l’épaule. Elles s’accompagnent volontiers de paresthésies distales.

-          Mouvement favorisant ; Accrochage douloureux en élévation antérieure traduisant une souffrance de la coiffe des rotateurs, douleur à l’armer du bras évoquant une instabilité glénohumérale sous-jacente, douleur à la palpation de l’articulation acromio-claviculaire.

-          Retentissement sur les activités quotidiennes ; Gêne pour l’habillement, le peignage, la toilette …

-          Rythme de la douleur ; Diurne lors de certains mouvements précis, nocturne empêchant le décubitus sur l’épaule et entrainant des réveils fréquents, mixtes. Ces précisions déterminant le caractère mécanique ou inflammatoire de la douleur.

-          Réponse aux thérapeutiques entreprises ; Efficacité des antalgiques et anti-inflammatoires non stéroïdiens, réponse aux infiltrations de dérivés cortisonés en précisant le site et le nombre  d’injections ainsi que la durée d’efficacité. Résultats d’une éventuelle rééducation en précisant les modalités exactes de celle-ci. Tentatives de ponction-aspiration pour calcifications de l’épaule.

 

Antécédents ;

 

-          Médicaux ; Notion de diabète (terrain favorisant la survenue d’une capsulite rétractile), traitement au long cours (par exemple corticoïdes favorisant l’apparition d’une ostéonécrose)

-          Chirurgicaux ; Interventions sur l’épaule (type, raisons, séquelles éventuelles, notion d’algodystrophie …)

-          Traumatiques ; chute sur l’épaule, antécédents fracturaires, luxations récidivantes gléno-humérales ou acromio-claviculaires.

B - Examen clinique méthodique

 

            Symétrique et comparatif, l’examen clinique sera réalisé sur un patient torse nu et suivra un ordre toujours identique permettant de n’omettre aucune étape et de parvenir à un diagnostic lésionnel précis.

 

Inspection

 

La gêne fonctionnelle peut être évaluée par la simple observation du patient lorsqu’il se déshabille, la non utilisation du membre atteint ou l’utilisation de manœuvres d’éviction sont fréquentes.

On recherchera une ecchymose (type brachio thoracique évoquant une fracture de l’extrémité supérieure de l’humérus), une asymétrie des épaules, une augmentation de volume traduisant un épanchement intra-articulaire.

La saillie supérieure de la clavicule signera la luxation acromio claviculaire.

On jugera de la trophicité musculaire par l’inspection du relief deltoïdien, des fosses supra et infra épineuses (entrant soit dans le cadre d’une pathologie neurologique micro traumatique chez le jeune ou d’une dégénérescence graisseuse de la coiffe dans les pathologies dégénératives du sujet âgé).

Un décollement du bord spinal de la scapula peut être observé dans les atteintes du grand dentelé.

 

Palpation

 

            Une palpation méthodique recherchera une douleur provoquée sur les reliefs osseux et sur le trajet des différents corps musculaires.

La palpation de l’articulation acromio claviculaire permettra de déclencher une douleur en cas de dégradation arthrosique, cette sensibilité peut également être observée en mobilisant l’extrémité latérale de la clavicule dans une direction antéro postérieure. La manœuvre du « cross Body Adduction test » consiste à porter le membre supérieur en adduction horizontale reproduisant les douleurs d’origine acromio claviculaire. Le décubitus latéral est fréquemment douloureux car il met en compression l’articulation acromio-claviculaire.

La palpation pré acromiale de la coiffe peut être douloureuse en cas de conflit ou de rupture antéro supérieure de la coiffe, toutefois cette douleur est peu spécifique et ne préjuge guère des lésions anatomiques sous jacentes.

L’examen clinique du biceps est fondamental dans les pathologies dégénératives tendineuses de la coiffe car il est fréquemment responsable de tout ou partie des douleurs alléguées par le patient. Le tendon du biceps brachial est palpé dans sa gouttière à la face antérieure de l’épaule environ 3 à 5 cm sous le relief acromial. Une douleur exquise est assez spécifique d’une souffrance bicipitale Elle peut être sensibilisée par des mouvements rotatoires du membre supérieur faisant rouler le tendon bicipital sous les doigts. La simple mise en supination du membre supérieur déclenche volontiers les douleurs d’origine bicipitale à fortiori lorsqu’existe une instabilité tendineuse dans sa gouttière.

Enfin, la palpation du rachis cervical peut être sensible et s’accompagner d’une attitude antalgique évoquant une pathologie vertébrale.

 

Etude des mobilités

 

Il faut apprécier la mobilité passive et active en se plaçant dans le dos du patient.

 

Une limitation de la mobilité passive (membre supérieur mobilisé par l’examinateur) fera suspecter une rétraction capsulaire (capsulite rétractile) ou extra-articulaire, cette constatation est fondamentale car elle peut nécessiter un traitement spécifique (rééducation) et représenter une contre-indication au moins temporaire à tout geste chirurgical.

Si la mobilisation passive du membre supérieur s’accompagne d’une sensation perceptible de roue dentée, les lésions cartilagineuses gléno-humérales sont probables et le diagnostic d’omarthrose sera évoqué.

 

L’étude de la mobilité active répond à un schéma précis, les mouvements pouvant être évalués de  façon analytique ou globale. L’examen peut être réalisé en position debout ou couchée.

On chiffrera l’élévation antérieure (flexion), l’abduction et l’adduction, l’extension (bras en arrière), la rotation latérale et médiale en position coude au corps ou bras à 90° d’abduction ou de flexion.

 

L’analyse des mouvements combinés est plus fonctionnelle. On demandera au patient de réaliser un certain nombre de gestes usuels (main bouche, main front, main nuque, main vertex, main épaule opposée). Par ailleurs l’analyse de l’élévation antérieure et de la rotation latérale dans le plan de la scapula (position intermédiaire entre la flexion pure et l’abduction) est un bon reflet de la situation fonctionnelle de l’épaule et des possibilités du patient.

 

L’impotence fonctionnelle est très variable, il faut savoir distinguer l’impotence liée aux douleurs de la véritable épaule pseudo paralytique par inefficience musculaire au mieux dépistée par un testing des différents muscles de la coiffe des rotateurs.

 

L’analyse du rythme scapulo-huméral fait partie intégrante de l’examen clinique. L’examinateur est placé dans le dos du patient et apprécie la sonnette scapulaire lors du mouvement d’élévation du membre supérieur. Sur une épaule normale, la scapulo thoracique est sollicitée aux alentours de 90° d’élévation, une sollicitation compensatrice prématurée peut s’observer dans les raideurs gléno-humérales. Un décollement du bord médial de la scapula fera suspecter une insuffisance du muscle serratus antérieur. Le test de Kibler mesurant la distance entre la ligne des épineuses et le bord spinal de la scapula dans diverses positions peut aider au diagnostic de ces dysfonctionnements scapulo thoraciques.

 

L’évaluation analytique des principales unités musculo tendineuses de l’épaule fait appel à la connaissance de manœuvres précises.  En l’absence de rupture tendineuse ces différents tests sont maintenus contre résistance, ils peuvent toutefois être douloureux s’il existe une tendinopathie inflammatoire. L’impossibilité de maintenir la position contre résistance signe en théorie la rupture du tendon concerné.

 

Le tendon supra-épineux est au mieux analysé par la manœuvre de Jobe. L’examinateur positionné face au patient exerce une pression sur le membre supérieur en rotation interne, légère ante pulsion et abduction aux alentours de 60°. L’impossibilité de résister à la pression signe théoriquement la rupture du supra-épineux alors que si la position est résistée mais douloureuse une tendinopathie non rompue sera évoquée.

Les muscles rotateurs externes (infra-épineux et petit rond) seront testés de plusieurs manières.

La rotation latérale contrariée coude au corps est déficitaire. Le test de rappel automatique consiste à placer le membre en rotation externe passive coude au corps en demandant au patient de maintenir cette position, le test est positif si le patient est dans l’incapacité de maintenir cette position avec un retour automatique en rotation interne.

L’insuffisance des rotateurs externes peut également être recherchée par le signe du portillon  où le patient est dans l’incapacité de freiner un mouvement de rotation interne contrariée coude au corps et avant- bras fléchi à 90°, la main vient alors percuter le ventre du patient témoignant de la faiblesse des rotateurs externes.

La manœuvre de Patte teste les rotateurs externes en abduction à 90°, le test est positif si le patient ne peut résister à la résistance opposée par l’examinateur.

Le signe du clairon signe l’insuffisance globale des deux rotateurs externes, il consiste à demander au patient de mettre la main à la bouche, un déficit complet des muscles rotateurs externes l’oblige à lever le coude plus haut que la main.

L’atteinte du muscle sub scapulaire peut se traduire par une hyper rotation externe passive coude au corps. Le lift off test de Gerber (décollement contrarié de la main du plan dorsal) analyse la fonction du sub scapulaire et permet théoriquement d’éliminer pour partie l’action des autres rotateurs internes (grand dorsal, grand rond…). L’insuffisance du sub scapulaire se traduit par l’incapacité du patient à décoller sa main du plan vertébral mais la réalisation de ce test est souvent rendue impossible par les douleurs ou la limitation de la rotation interne. Le « press belly test » prend alors toute sa valeur, le patient positionne ses deux mains sur le ventre le coude décollé du thorax. Le test est positif si le patient ne peut appuyer sur son ventre qu’en mettant le bras en retro pulsion ou en décollant le poignet, le test peut être sensibilisé par l’examinateur qui exerce une pression sur le coude.

Le « Bear Hug test » consiste à positionner la main du patient sur l’épaule controlatérale coude levé, l’examinateur tente alors de décoller la main du patient en tirant sur le poignet. Le test est positif si le patient ne peut conserver la main sur son épaule.

Tous ces tests qui évaluent le sub scapulaire sont spécifiques mais de sensibilité variable selon l’importance de l’atteinte du sub scapulaire.

 Le palm-up test apprécie plus spécifiquement le chef long du biceps. L’examinateur réalise une pression sur le membre supérieur du patient positionné en antéflexion et coude en extension. La souffrance bicipitale se traduit par une douleur antérieure accompagnée d’une incapacité du patient à résister à la contrainte imposée par le praticien.

 

Certaines manœuvres spécifiques tendant à reproduire la douleur du patient permettent un diagnostic lésionnel précis, ainsi le signe de Neer (passage douloureux en élévation antérieure aux alentours de 90°) témoigne d’un conflit entre la face superficielle du supra-épineux et le rebord antéro-inférieur de l’acromion. D’autres signes ont été décrit (signe de Hawkins, signe de Yocum) dont la spécificité est moindre.

 

L’examen recherchera en fonction des données de l’anamnèse des signes en faveur d’une instabilité gléno-humérale plus fréquemment antérieure. L’existence d’une appréhension en position d’armer du bras est probablement le signe clinique le plus fiable, le patient ressentant dans cette position une impression de luxation imminente de la tête humérale en avant. La recherche de ressaut, de claquement ou de blocage de l’épaule doivent faire évoquer chez le patient jeune une lésion d’instabilité à minima ou une lésion du bourrelet glénoidal.

 

Dans un contexte post traumatique des douleurs situées au sommet de l’épaule feront penser à une pathologie de l’articulation acromio-claviculaire, une mobilité en touche de piano ou un tiroir antéropostérieur de l’extrémité latérale de la clavicule seront des arguments décisifs. En cas de doute, une infiltration sous scopie de l’articulation acromio claviculaire aidera au diagnostic positif si elle permet une sédation douloureuse fût-elle temporaire.

 

La pathologie neurologique micro traumatique est dominée par les atteintes du nerf thoracique long et du nerf supra scapulaire.

Le nerf thoracique long innerve le grand dentelé, il peut être étiré dans les mouvements répétitifs liés à la pratique des sports de raquette (smash) qui associent une rotation avec inflexion latérale de la tête, une adduction et rotation interne du membre supérieur. Cliniquement, les douleurs sont plutôt postérieures et s’accompagnent d’une impotence fonctionnelle variable. Le décollement de l’omoplate du gril costal est pathognomonique d’une telle atteinte. Dans les formes frustres, ce décollement n’est visible qu’à la fatigue du muscle en faisant réaliser des pompes contre un mur.

L’atteinte du nerf supra scapulaire est également plus fréquemment rencontrée chez les patients pratiquant des sports de raquette ou lors de certaines activités comportant des gestes répétitifs (violoniste, boulanger).

Le nerf supra scapulaire innerve le supra- épineux et l’infra-épineux mais l’atteinte de ces deux muscles peut être dissociée selon le niveau de compression du nerf. Si la compression se fait au niveau de l’échancrure coracoïdienne les deux muscles seront atteints alors qu’une compression plus basse au niveau du bord externe de l’omoplate n’entrainera qu’une atteinte isolée de l’infra-épineux.

Le diagnostic sera suspecté devant des douleurs postérieures associées à une amyotrophie des fosses supra et infra épineuses au stade tardif. L’EMG confirmera le diagnostic si besoin.

 

 

 

 

2- Examens complémentaires

 

            Un bilan radiologique simple permet de dépister certaines pathologies évidentes telles une lésion tumorale, des calcifications sous acromiales ou une arthrose gléno-humérale.

Des clichés de l’épaule de face en rotation neutre, interne et externe et de profil (profil de coiffe ou de Lamy) doivent donc être systématiquement réalisés.

Selon le diagnostic évoqué, d’autres examens peuvent être prescrit. L’analyse des tendons de la coiffe des rotateurs (recherche d’une rupture, évaluation de la trophicité des tendons) fera appel à un arthro-scanner ou à une Imagerie par résonance magnétique nucléaire. Une échographie peut également être utilisée mais son caractère opérateur dépendant et les limites de l’examen n’en font qu’un examen de débrouillage.

L’arthroscopie de l’épaule doit être considérée comme un geste chirurgical même s’il peut participer à la démarche diagnostique. En effet cette arthroscopie est réalisée sous anesthésie générale ou loco régionale au bloc opératoire et par une équipe chirurgicale, elle ne doit donc pas être considérée comme un examen de routine et sera au mieux réalisée à visée thérapeutique et non diagnostique.

De même le bilan préopératoire d’une instabilité d’épaule requiert la réalisation d’un arthro-scanner de l’épaule qui évaluera au mieux les lésions osseuses et capsulo-ligamentaires secondaires à l’instabilité.

Si les douleurs paraissent en rapport avec une pathologie neurologique sous-jacente, un électromyogramme sera réalisé.

 

3- Conclusion

 

            Les causes de douleur d’épaule sont extrêmement variées, les circonstances d’apparition, l’âge de survenue et le tableau clinique permettent souvent une approche diagnostique intéressante et orientent les examens complémentaires à réaliser.

Chez les patients jeunes, l’instabilité gléno-humérale ou acromio claviculaire et la pathologie liée à la pratique sportive dominent les étiologies. Au delà de 40 ans la pathologie dégénérative est plus fréquemment rencontrée, qu’elle intéresse les tendons de la coiffe des rotateurs ou l’articulation gléno-humérale.