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Cris, pleurs, troubles du sommeil chez le nourrisson

Cris, pleurs, troubles du sommeil chez le nourrisson

 

Percevoir, reconnaître la souffrance psychique du bébé lorsque l’examen clinique est normal.

 

Docteur Véronique LEMAITRE

Pédopsychiatre, psychanalyste - Hôpital Jeanne de Flandre, Lille

v-lemaitre@chru-lille.fr

 

 

          Si l’accouchement impose au fœtus une série de bouleversements permettant son adaptation à la vie extra-utérine, la rencontre du bébé avec son environnement familial fournit les conditions de sa naissance à la vie psychique : l’investissement par les parents de la mise en place de ses rythmes vitaux (alimentation, sommeil) organise l’engagement du bébé dans la relation à l’autre en accord avec son propre vécu corporel.

 

          Les enjeux psychiques de cette étape sont multiples : le partage émotionnel entre parents et bébé concernant son vécu d’inconfort lui permet de construire :

-          la confiance dans l’adulte qui prend soin de lui et transforme ses perceptions,

-          la confiance qu’il peut accorder à ses perceptions corporelles (sensation de faim, de fatigue, de soif, de chaleur, de peur, de colère, de plaisir…),

-          la confiance dans ses compétences à se faire comprendre, et à agir activement sur son environnement pour obtenir ce dont il a besoin et ce qui lui fait plaisir.

 

          Dans ce contexte les pleurs du nouveau-né ont une double fonction : c’est à la fois un appel à l’environnement et un moyen de décharge du trop plein d’excitation (fonction d’autorégulation) : ainsi la consigne « il faut le laisser pleurer » mérite d’être considérée avec attention : dans quelles circonstances et jusqu’à quel point est-il constructif pour le bébé d’être laissé seul avec ses pleurs ? A quel moment doit-on le consoler ?

 

          Du côté du bébé :

          Brazelton a pris en pitié ces mères que l’on accusait de tous les maux : « vous ne savez pas vous y prendre, vous êtes trop angoissée, vous lui transmettez vos difficultés, cessez donc de l’allaiter, etc… » et a décrit des bébés de tempéraments différents, aux compétences variables (ce qu’il nomme « points forts ») qui imposent une forme de maternage prenant en compte ces différences. Il décrit 5 niveaux de régulation, du plus primitif au plus élaboré (réactions neurovégétatives, régulation des états de veille, ajustement tonico-moteur, activité motrice volontaire et engagement dans la communication et l’exploration de l’environnement) en mettant l’accent sur les compétences du bébé susceptibles de favoriser son attachement avec ses parents et de développer leurs compétences parentales (consolabilité, autoapaisement). La connaissance de son échelle d’évaluation des compétences du bébé (NBAS) est un formidable outil de guidance parentale qui peut les aider à entendre les signaux de détresse et à les distinguer des moments où il faut laisser au bébé le temps de trouver son équilibre.

 

          Du côté des parents :

          L’interprétation qu’ils font des pleurs du bébé repose sur leur identification à lui. C’est ce que décrit Winnicott sous le nom de « préoccupation maternelle primaire ». Elle est caractérisée par sa continuité et sa souplesse : la mère garde une attention continue au confort de son bébé et développe une capacité interprétatrice toujours renouvelée malgré des échecs réguliers : ainsi la mère construit une compréhension des signaux de son bébé, ainsi qu’une forme de réponse spécifique qui va devenir transmissible aux autres adultes qui prennent soin du bébé. Dans le meilleur des cas cet apprentissage mutuel prend 4 à 6 semaines et doit être suivi d’une période d’une durée à peu près égale de plaisir partagé dans cette compréhension mutuelle pour que les séparations imposées par la reprise du travail ne soient pas perçues comme traumatiques.

 

          L’intolérance aux pleurs du bébé repose souvent sur une incapacité à distinguer les signaux du bébé : pour des raisons liées à son histoire personnelle ou à l’histoire de cette grossesse là, ou à l’état psychique de la mère à ce moment là (fréquence des dépressions post-partum : 10 à 15% des naissances), celle-ci devient incapable de réaliser ce travail de décodage et de réponses différenciées aux appels du bébé. Les conséquences de ce « désaccordage » (D.N STERN) font le lit de la pathologie somatique fonctionnelle (l’inconfort devient douleur digestive), des difficultés relationnelles ultérieures (cet enfant est difficile et ne répond pas aux attentes de ses parents), voire des troubles de la personnalité (sa vulnérabilité, et la difficulté de ses parents à le comprendre, ne permettent pas les régulations émotionnelles et cognitives nécessaires à son développement).

 

          L’attention portée à l’organisation précise des rythmes vitaux du bébé (en particulier respect du sommeil de jour) sous forme de consultations répétées ou de consultation spécialisée en cas d’échec, est une forme majeure de prévention en pédopsychiatrie.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

 

Brazelton TB. Les compétences comportementales du nouveau-né. In S. LEBOVICI et F. WEIL-HALPERN, Psychopathologie du bébé. Paris: PUF; 1989

Bullinger A. Le développement sensori-moteur de l’enfant et ses avatars. Ramonville Ste Agne: Erès; 2004

Lebovici, S. (1998) : L’arbre de vie, 1997, Eléments de psychopathologie du bébé, Toulouse, Erès, 1998, p 107-130.

Lemaitre, V. (2005) : “Les présupposés du concept de recours à l’acte : confrontation avec les données de la clinique périnatale » in La violence en abyme, sous le direction de C. Balier, Paris, PUF, p 23-59.

Pikler E. Se mouvoir en liberté dès le premier âge. Paris: PUF;  1979

Stern, D.N. (1989) : Le monde interpersonnel du nourrisson, Basic Books, New York, 1985. Traduction française A. Lazartigues et D. Pérard, PUF, Paris, 1989.

Trevarthen C.et Aitken K.J., Intersubjectivité chez le nourrisson: recherche, théorie et application clinique, in Devenir, 2003, vol 4, n°4

 

www.ombrel.fr : adresse du site du réseau périnatalité métropole lilloise, où l’on peut trouver l’annuaire des ressources psychologiques locales en période périnatale