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Les lombalgies chroniques

LA LOMBALGIE CHRONIQUE : COMMENT REPENSER L’EXAMEN ET LA PRISE EN CHARGE

Par Jacques VANVELCENAHER, médecin MPR

Centre de Rééducation et de Réadapxation Fonctionnelles Spécialisées

25, Pavé du Moulin

B.P.1

59260 Hellemmes

Introduction :


La lombalgie chronique est une pathologie difficile à prendre en charge pour le médecin généraliste. Que faire de plus pour soulager ces patients, dès que tout a déjà été exploré et que de multiples traitements ont été essayés ?

Or un renouveau dans les traitements de la lombalgie chronique est apparu depuis quelques années.  Ce nouvel abord est issu de la connaissance du syndrome de déconditionnement (trouble musculo-squelettique) qui caractérise l’état de chronicité de la lombalgie.

Ce syndrome se décline en termes de raideur – perte musculaire – perte fonctionnelle et inhibition gestuelle qui interdit une utilisation libre du dos.

Dans ce syndrome transparait la démarche habituelle à toute rééducation après l’atteinte orthopédique : assouplir, renforcer, coordonner et restaurer la liberté gestuelle  alors que la démarche inverse (verrouillage et surprotection du dos) est encore admise et préconisée.

Pour mieux comprendre le syndrome de déconditionnement, il faut un éclairage nouveau sur la biomécanique et la physiologie du tronc.

Le tronc est un ensemble indissociable de deux entités qui fonctionnent en permanence simultanément : le rachis (régulateur du mouvement) et les hanches (moteur du mouvement du tronc).

Comment se partagent les amplitudes gestuelles du tronc ?

Lorsqu’on se penche en avant genoux tendus (et approchant les mains au sol), deux mouvements s’opèrent :

Une flexion de la colonne lombaire d’environ 60° chez un sujet de 20 ans.

Une antéversion du bassin autour des hanches, également de 60° en moyenne.

La limite des mouvements rachidiens est d’ordre ligamentaire et disco-articulaire. Ces structures sont peu extensibles. De plus, les amplitudes du rachis diminueront en raison des remaniements physiologiques liés à l’âge, sans liaison avec les douleurs.

La limite de l’antéversion du bassin est liée à l’étirement des tissus mous sous-pelviens, en grande partie constitués par les muscles (les ischio-jambiers). Leur mise en tension lors des mouvements naturels du tronc entretient et développe leur tolérance aux étirements. C’est le cas pour les personnes âgées qui, dans nos campagnes, méconnaissent les principes du « dos droit-genoux fléchis », et naturellement compensent la raideur rachidienne par une meilleure participation pelvienne.

Lors des gestes d’extension globale du tronc s’observent les mêmes limites :

peu extensible pour le rachis lombaire qui se cale sur ses articulaires postérieures et sa lordose,

beaucoup plus adapxable par la rétroversion du bassin limitée par la tension musculaire du psoas et du droit antérieur.

L’ensemble des autres gestes du tronc est concerné :

L’inclinaison latérale est limitée en rachidien par les facteurs ligamentaires et musculaires et en pelvien par les tensions des adducteurs/abducteurs de hanche.

La rotation qui se partage entre la torsion lombaire et les rotateurs de hanches qui amplifient le mouvement global jusque 180°.

En résumé, la souplesse de l’ensemble sous-pelvien s’entretient dans la gestualité globale du tronc, et évite le surmenage mécanique rachidien.  Cette souplesse garantit la libre orientation du bassin dans le mouvement et évite à la mécanique rachidienne d’aller au-delà de ses limites. L’âge diminue progressivement les mouvements rachidiens, et la libre utilisation des gestes du tronc développe la suppléance par mouvement pelvien et une meilleure extensibilité musculaire sous-pelvienne.


Qu’en est-il du plan musculaire ?

Les spinaux, grands fessiers, ischio-jambiers et triceps forment la chaine d’extension du tronc. Elle est prévalente car elle fonctionne en permanence contre la pesanteur, contrairement à celle de la flexion.

En effet, pesanteur exclue, celle-ci est deux fois plus forte que la chaine de flexion du tronc (abdominaux, ilio-psoas et droits antérieurs).

Dans cette chaine d’extension se distingue la même dualité : la musculature spinale (plutôt régulatrice du mouvement) et la musculature sous-pelvienne postérieure, principalement les ischio-jambiers, le véritable moteur du « pencher-redresser ».

La musculature spinale a pour rôle de partager constamment les contraintes mécaniques rachidiennes avec le tissu disco-ligamentaire. Tout défaut dans cette musculature expose à la déchirure des autres moyens d’union des pièces vertébrales. Il ne faut donc pas négliger cette musculature spinale dans sa fonction de régulation posturale ou gestuelle.

Concernant la musculature sous-pelvienne, la performance des ischio-jambiers conditionne la précision et la fiabilité de l’orientation du socle pelvien, chargé des deux tiers du poids de corps.

L’endurance de l’ensemble de la chaine d’extension a été étudiée. Son défaut est corrélé au risque de lombalgies, probablement par défaut de synchronisation dans ce grand ensemble musculo-squelettique. Cette synchronisation doit en effet demeurer sans défaut, quelle que soit la vitesse gestuelle, l’heure de la journée, ou les charges manutentionnées ou cumulées.


Quand peut-on parler de lombalgie chronique ?

La lombalgie chronique est caractérisée par une souffrance lombaire irradiant parfois aux membres inférieurs, persistante au-delà de trois mois après un épisode aigu, et pour laquelle on ne retrouve plus de cause organique particulière : le patient est donc dans l’impasse médicale et chirurgicale, les traitements sont sympxomatiques de la douleur et souvent empiriques.

Les trois mois d’évolution à partir d’un épisode aigu constituent en réalité le temps de cicatrisation des structures disco-ligamentaires. Les structures musculaires guérissent en quelques jours, les structures ligamentaires en 6 semaines, et la déchirure discale (qui s’exprime en hernie discale sur l’imagerie) en 3 mois environ à cause de son épaisseur et sa pauvreté vasculaire.

En réalité, 90% des lombalgies aigües récupèrent fonctionnellement quelques soient les traitements mis en œuvre. 10% se chronicisent dans les douleurs.

On peut donc considérer la lombalgie chronique comme un état douloureux cicatriciel, guéri organiquement, stigmatisé par le syndrome de déconditionnement. Trop souvent l’état douloureux est rapporté à des constatations, notamment en imagerie habituellement retrouvées chez des sujets plus âgés et indemnes de toute lombalgie (dégénérescence discale, hypertrophies arthrosiques des massifs articulaires postérieurs, canal lombaire à tendance étroite, discopathies et ostéophytoses).

Si les résultats des bilans usuels sont pauvres, ceux des bilans physiques sont riches. Le syndrome de déconditionnement apparaît clairement et donne les clefs du traitement de ce qui alimente les douleurs.


Comment est caractérisé le syndrome de déconditionnement ?

Le syndrome de déconditionnement contient 4 items :

La raideur.

La perte des capacités musculaires (force et endurance).

La perte des capacités fonctionnelles.

L’inhibition gestuelle.

La raideur est essentiellement sous-pelvienne, restreignant les amplitudes du bassin et surmenant pour un même geste la colonne lombaire. La raideur sous-pelvienne postérieure concerne essentiellement les ischio-jambiers mais aussi les triceps, ainsi que l’ensemble des tissus mous des loges postérieures des membres inférieurs, dont les ramifications nerveuses.

Bien que rarement recherchée, elle est également fréquente en sous-pelvien antérieur, associée à une bonne souplesse sous-pelvienne postérieure, pénalisant les mouvements de redressement global  l’amplitude de rétroversion du bassin est limitée par la raideur des psoas et des droits antérieurs et contraint en extension la colonne lombaire (à la limite du physiologique) surchargeant les articulaires postérieures.

La perte de force et d’endurance a été mise en évidence par des outils de mesure sophistiqués  ces outils d’évaluation et le travail en condition isocinétique ont démontré la prévalence des extenseurs par rapport aux fléchisseurs du tronc  chez le lombalgique les extenseurs sont effondrés de 30 à 50% quelque soit les vitesses gestuelles alors que les fléchisseurs sont préservés.

Cette constatation remet en cause le classique travail des abdominaux et relativise les notions de « caisson abdominal »  s’en tenir à ce travail déséquilibre d’autant plus l’équilibre musculaire et le ratio « fléchisseurs-extenseurs ».

La perte des capacités fonctionnelles est également objectivée par des tests de simulation de soulever de charge en condition isocinétique ou en condition réelle  ces tests sont également perturbés chez le lombalgique chronique.

L’inhibition gestuelle est une vraie inhibition au sens neurologique du terme, entretenue par les influx nocicepxifs, et la peur de se blesser en utilisant le dos. Elle freine l’engagement musculaire maximal  le test des 20 répétitions sur outil isocinétique de « flexion-redressement » alterné du tronc à vitesse rapide, révèle une augmentation des pics de force musculaire, répondant au « Gate Control » alors que la fatigue musculaire devrait induire le contraire.

A ce syndrome de déconditionnement est fréquemment associé un déconditionnement psycho-social qui fixe le lombalgique dans son état de chronicité :

Dans cet aspect se retrouvent l’accumulation des difficultés professionnelles et familiales, la dévalorisation, le stress, le sentiment d’incapacité, l’attrait des bénéfices secondaires et bien souvent des fragilisations de construction psychique.

Dans les situations les plus lourdes, les critères physiques du syndrome de déconditionnement sont la partie émergée d’un iceberg, les difficultés psycho-sociales la partie sous-jacente.


Quel est l’examen clinique ?

Quelques gestes simples orientent vers le syndrome de déconditionnement.

La raideur :

L’antéflexion du rachis genoux tendus mesure la distance « doigts sol ». L’inclinaison se mesure grâce à un inclinomètre, placé en T12-L1 pour chiffrer l’antéflexion globale, puis au niveau du sacrum pour chiffrer l’amplitude du pivot du bassin. La soustraction de cette valeur sacrée à la valeur globale donne l’angle de flexion du rachis.

L’amplitude du pivot du bassin doit être identique ou dépasse la flexion lombaire.

Raideur des ischio-jambiers : le lever de jambe tendue, en décubitus dorsal, s’effectue une main sur l’épine iliaque antéro-supérieure et l’autre au talon  la limite de l’extensibilité des ischio-jambiers (normale = 80-85°) se situe quand le bassin se soulève.

Raideur des droits antérieurs : en décubitus ventral, la mesure de la distance « talon fesses » chiffre la souplesse du droit antérieur (normale = 0°).

Raideur des psoas : en décubitus latéral, le membre inférieur sur le plan de décubitus est placé en flexion de la hanche et du genou pour maintenir le bassin en position puis on étend l’autre hanche. L’extension mesurée doit dépasser les 15 à 20°.

La perte musculaire :

La perte d’efficience de la chaine d’extension du tronc s’apprécie en testing contre résistance manuelle des ischio-jambiers en décubitus ventral membres inférieurs allongés. Cette force, en principe importante, est souvent effondrée chez le lombalgique chronique.

La perte de capacité fonctionnelle et l’inhibition gestuelle : s’observent à la façon dont le sujet s’allonge, se redresse, s’assoie et délace ses chaussures pour l’examen.

Cette inhibition gestuelle se remarque également au décalage entre la distance « doigts sol » et la distance « doigts pieds » (mesurée assis, membres inférieurs tendus)  la peur de se blesser et de se pencher en antéflexion, et la crainte douloureuse du geste, majorent la distance « doigts sol » alors que la distance « doigts pieds » reflète mieux la raideur.

Ces simples gestes constituent l’essentiel de cet examen dans la pratique courante en consultation et suffisent à évoquer un déconditionnement physique.

Les mesures plus précises de flexibilité et d’appréciation musculaire et fonctionnelle en isocinétisme requièrent les moyens d’un centre de rééducation fonctionnel et d’une équipe pluridisciplinaire :

Mesures inclinométriques plus précises.

Mesure de la force musculaire en condition isocinétique.

Mesure du rapport flexion/extension du tronc.

Simulation isocinétique du soulever de charge.

Soulever de charge cumulative.

Enfin une analyse du retentissement socioprofessionnel et une prise en compxe du psychisme du sujet y seront pratiquées.


Comment aborder le traitement du lombalgique chronique ?

Dans plus de 80% des cas, l’état de lombalgie chronique doit être réversible.

Les séjours en centre où se pratique la restauration fonctionnelle du rachis, ou tout autre type d’intervention active, doivent être réservé au cas les plus lourds et handicapants, tant sur le plan physique que psycho-social.

Le rôle du médecin traitant est de dépister, à partir d’un épisode aigu, ceux qui risquent de se chroniciser et de s’enfoncer dans la maladie.

A partir d’un épisode aigu, qui dans la plupart des cas évoque un mécanisme d’entorse avec tous ses degrés (éraillure musculaire ou ligamentaire, entorse articulaire postérieure ou hernie discale), il faut favoriser la cicatrisation tout en évitant l’immobilisation et le déconditionnement physique. La douleur est le guide d’activité le plus fidèle et il faut savoir la respecter tout en la rendant tolérable.

Dans les contextes subaigus (à partir de la 6ème semaine), il faut dépister les risques de chronicisation :

Appréciation de l’impact physique de la lombalgie en termes de raideur et de déconditionnement musculaire.

Appréciation du retentissement sur les activités fonctionnelles et professionnelles.

Confrontation aux épisodes antérieurs et à leur évolution (arrêts de travail, peur de la gestualité du dos, systématisation du « dos droit, genoux fléchis »).

Il est important de rassurer sur les mécanismes de cicatrisation et sur la récupération physique. Le médecin traitant doit expliquer que les diagnostics posés sont souvent sans relation avec l’état douloureux chronique : la dégénérescence discale, l’arthrose inter-apophysaire postérieure, le canal lombaire du sujet jeune, les images de hernies discales cicatricielles, la protrusion discale sont très fréquemment retrouvés chez les sujets plus âgés, indemnes de toute lombalgie, et dont les activités physiques sont parfois exemplaires. Il doit insister sur le caractère réversible de cette atteinte.

Dans les cas où les risques de chronicisation ne sont pas majeurs, dans les cas où l’impact physique est prédominant par rapport à l’impact psycho-social, ou dans l’attente d’une évaluation ou d’une prise en charge en centre, une kinésithérapie peut être débutée.

L’ordonnance de kinésithérapie doit comporter un minimum de renseignements sur la raideur sous-pelvienne et la perte des paramètres musculaires de la chaine d’extension.

Les axes de travail sont d’étirer les muscles raides (ischio-jambiers, ilio-psoas, droit antérieurs), mais aussi les rotateurs de hanche, adducteur, triceps, petits fessiers et tenseurs de fascia lata. Le travail musculaire doit renforcer les grands fessiers, ischio-jambiers et triceps.

Ces mouvements doivent être très analytiques et ne reporter aucune tension en rachidien. Les étirements se feront un membre inférieur à la fois, jamais les deux en même temps pour ne pas mobiliser le bassin et risquer de contraindre le rachis.

Une gymnastique quotidienne d’étirement doit être apprise au cours des séances de kinésithérapie.

La coordination avec le médecin du travail, le rhumatologue, le neurochirurgien, le médecin de rééducation doit être pertinente.


En définitive,

La connaissance du syndrome de déconditionnement donne des moyens relativement simples d’aborder une lombalgie commune qui risque de se chroniciser.

A l’avenir, il serait souhaitable de ne pas attendre la chronicité pour intervenir, car les moyens sont nécessairement plus complexes.

L’efficacité de la prise en charge dépend de la coordination entre les différents acteurs intervenants auprès de ces patients, dont le médecin traitant est le pivot central.

De cette coordination dépend également la stabilité du résultat à moyen et long terme.



Eléments de bibliographie

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Programme de restauration fonctionnelle du rachis (RFR) dans le cadre des lombalgies chroniques. Nouvelle approche thérapeutique (2e partie : traitement, résultats, discussion). Ann Réadapx Méd Phys, 1994, 37 : 323-333.

RESTAURATION FONCTIONNELLE DU RACHIS DANS LES LOMBALGIES CHRONIQUES

Sous la direction de VANVELCENAHER J. Edition frison roche décembre 2003

S. Poiraudeau, F. Rannou, M. Revel

Intérêts du réentraînement à l'effort dans la lombalgie : le concepx de restauration fonctionnelle Annales de Réadapxation et de Médecine Physique Volume 50, Issue 6, July 2007, Pages 419–424.