La maladie bipolaire

La maladie bipolaire

 Une pathologie sous estimée

Docteur Michel MARON

 Service de Psychiatrie de l’Adulte, CHRU de Lille


La maladie bipolaire, ou trouble bipolaire, de l’humeur est un trouble récurrent de l’humeur qui dans sa forme la plus typique voit le patient alterner des phases de dépression avec tristesse pathologique et baisse de l’élan vital, et des phases de manie avec euphorie pathologique et agitation. C’est une pathologie fréquente (2 à 3 % de la population, 8 % des patients de Médecine Générale), grave et ubiquitaire qui représente une des causes importantes de handicap dans la population jeune, et dont le pronostic est conditionné à la fois par des atteintes cognitives marquées, des comorbidités psychiatriques et somatiques fréquentes, une mortalité suicidaire  (supérieur à 15 %) conséquente ou un vieillissement précoce. On estime que l’espérance de vie d’un patient  bipolaire est amputée de plus de 10 ans.

 

La prise en charge de la maladie, qui tient compte de la fragilité biologique et du déséquilibre fondamental de l’humeur ainsi que des conditions environnementales, permet d’envisager d’en modifier de manière nette l’évolution et le pronostic. Dans le cas de cette maladie au génie évolutif propre marqué par des récurrences symptomatiques, cette prise en charge, basée sur le diagnostic positif et la prévention des récidives amène à mettre l’accent sur le diagnostic le plus précoce possible. Cette préoccupation diagnostique devient donc aujourd’hui une priorité qui alerte les autorités de santé.

 

La forme la plus typique, mais qui n’est pas la plus fréquente, est marquée par l’existence d’au moins un épisode maniaque. Dans cette variété de trouble bipolaire, le type 1, urgence psychiatrique qui nécessite une hospitalisation, le diagnostic apparaît relativement aisé. Malheureusement, en raison de variantes symptomatiques, évolutives ou comorbides, l’absence de repérage d’un trouble bipolaire est possible tant le diagnostic peut en devenir complexe. Il a été mis en évidence de manière bien documentée que l’existence d’un trouble bipolaire était largement sous-estimée.

Des études ont montré que près de 25% des patients traités pour un trouble diagnostiqué unipolaire dépressif présenteraient en fait un trouble bipolaire, chez qui, par exemple, l’utilisation d’antidépresseurs doit faire l’objet d’une prudence particulière quand elle n’est pas contre-indiquée. Les modalités évolutives en sont également différentes, avec le risque d’épisodes maniaques ou hypomaniaques dont la prévention et le repérage doivent faire l’objet de mesures spécifiques qui impliquent le médecin mais aussi le patient et son entourage. L’impact de cette sous-estimation peut se mesurer en termes de retard au diagnostic et on estime que cette situation impliquerait un délai estimé entre les premiers symptômes et la mise en place d’une prise en charge adaptée, de près de 10 ans dans la plupart des études, ce qui apparaît comme considérable dans un pathologie qui débute le plus souvent bien avant 25 ans. Ainsi, l’apparition de complications inhérentes au génie évolutif de la maladie - développement de troubles comorbides psychiatriques (anxiété, dépendance) ou physiques (pathologies cardiovasculaires), inadéquation des traitements, retard à la mise en place de stratégies de prévention spécifiques - est une conséquence qui semble pouvoir être partiellement évitée par un diagnostic suffisamment précoce.

 

L’absence d’épisodes maniaques francs, l’existence de formes atténuées ou mixtes, la présence de comorbidités anxieuses ou addictives au premier plan, et dans de nombreux cas la prédominance symptomatique dépressive au cours de la maladie sont parmi les facteurs limitant la reconnaissance des récurrences thymiques de polarité opposées qui caractérisent le trouble bipolaire. La situation la plus caractéristique se rapporte aux épisodes hypomaniaques, dont l’existence, qui caractérise le trouble bipolaire de type 2 (le plus fréquent des troubles bipolaires), constitue, surtout en raison de la durée brève et de l’intensité plus modérée de ces hypomanies un piège classique. Les conséquences peuvent en être désastreuses, tant la valeur de l’épisode hypomaniaque en termes évolutif et pronostique général de la maladie est identique à celui de l’épisode maniaque. Pour ces patients, chez qui des épisodes hypomaniaques ont pu passer inaperçus, on a cependant pu mettre en évidence qu’interroger systématiquement l’existence d’un tel épisode en cas de consultation pour un état dépressif, permettait de repérer l’existence d’une bipolarité de l’humeur.

 

Des stratégies ont été développées, qui ont pour objectif de faciliter ce repérage le plus précoce possible de la maladie. Ces stratégies adaptées à un dépistage en soins primaires de consultation sont basées sur des données épidémiologiques et évolutives d’une part, et d’autre part basés sur les aspects sémiologiques d’un épisode dépressif. Elles explorent l’histoire personnelle et familiale du patient, ses caractéristiques tempéramentales, les présentations cliniques et évolutives d’un épisode dépressif par exemple, et permettent de dégager un faisceau de présomption qui conduirait à l’établissement d’un diagnostic positif qui reste avant tout clinique.

Tout état dépressif doit faire la preuve de l’absence de bipolarité sous-jacente. Il est donc indispensable de rechercher un trouble bipolaire devant tout épisode dépressif ou en cas  d’antécédents en explorant systématiquement la présence de critères cliniques, évolutifs et thérapeutiques spécifiques et l’existence d’un état euphorique pathologique antérieur. D’autre part, du fait de l’existence de comorbidités psychiatriques fréquentes, ces explorations devraient être étendues à de multiples situations cliniques: antécédents dépressifs, conduites suicidaires, troubles addictifs, troubles anxieux, particulièrement en cas de résistance au traitement.

Des outils simples complémentaires à l’entretien avec le patient existent. Validés dans le cadre d’études épidémiologiques, ces outils, qui ont permis de mettre en évidence la sous-estimation de la prévalence du trouble bipolaire sont facilement accessibles. Le Questionnaire de l’Humeur (Hirschfeld) ou la Check-List d’Hypomanie (Angst) sont utilisés et utilisables en pratique courante pour orienter le praticien vers un diagnostic de trouble bipolaire en aidant à l’exploration d’un éventuel épisode euphorique pathologique de l’humeur.


Si la prise en charge du trouble repose sur des interventions spécialisées psychiatriques, un dépistage efficace préalable est indispensable. Cette efficacité met à contribution les intervenants de soins primaires. Le Médecin Généraliste y a naturellement une place considérable.


Points-clés:

-  La maladie bipolaire est fréquente.

-  Les risques évolutifs en sont potentiellement dramatiques, mort précoce, morbidité physique et psychique, viellissement précoce et dépendent d’un repérage efficace.

-  La prévalence du trouble bipolaire est largement sous-estimée, principalement en raison de la non reconnaissance des épisodes hypomaniaques.

-  Il convient de rechercher un trouble bipolaire devant tout épisode dépressif.

-  Des arbres décisionnels et des échelles simples d’aide au diagnostic de bipolarité existent.

-  Le diagnostic de trouble bipolaire est avant tout clinique.

 

Références:

1)    Weber-Rouget B, Aubry JM: Dépistage des troubles bipolaires: une revue de la littérature. L’Encéphale, 2009: 35, 570—576.

2)    Weber-Rouget B, Gervasoni N et al : Screening for bipolar disorders using a French version of the Mood Disorder Questionnaire (MDQ). J Affect Disord 2005: 88(1), 103-8.

3)    Llorca PM, Courtet P et al : Dépistage et prise en charge du trouble bipolaire : résultats. Recommandations formalisées d'experts (RFE). L'Encéphale 2010: 36 (Suppl 4): S86-102.

4)    HAS: Patient avec un trouble bipolaire: Rapport d’élaboration, juin 2015.

5)    Rouillon F, Gasquet I et al : Prévalence des troubles bipolaires en médecine générale: Enquête Bipolact Impact. Annales Médico-Psychologiques, Revue Psychiatrique, Elsevier Masson, 2009: 167 (8), pp.611.