La scoliose

LES SCOLIOSES IDIOPATHIQUES DE L’ADOLESCENT : évaluation clinique et suivi

Adolescent idiopathic scoliosis: clinical assessment and following

 

Pr DEMAILLE S (1) ; Dr J-F CATANZARITI (2)

1 : DEMAILLE Samantha, MD, PhD, MPR, CRF l’Espoir, Lille Hellemmes, Maison Médicale Jean XXIII, Lomme.

2 : CATANZARITI Jean-François, MD, MPR, CRF Marc Sautelet, Villeneuve d’Ascq.

 

Mots clés :

Scoliose idiopathique, adolescent, diagnostic, évaluation, suivi

 

Keys words :

Idiopathic scoliosis, adolescent, diagnosis, clinical assessment, following

 

 

Introduction : La scoliose est la plus fréquente des déformations rachidiennes, et est dans 90% des cas idiopathique (ou essentiel) chezl’enfant et de l’adolescent [Nault ML, Spine 2002].Sa prévalence est entre 2 et 3% (Weinstein 2008) des enfants de 10 à 16 ans, avec un sex ration de 3,6 pour 1 [Nault ML 2002] en défaveur des filles.

La scoliose idiopathique est une déformation non réductible, caractérisée par une déformation tridimensionnelle, et entraine des modifications de contraintes exercées au niveau du tronc [Jaremko JL 2002]. Cette irréductibilité l’oppose aux attitudes scoliotiques. La rotation vertébrale, caractéristique de la scoliose, se traduit par une asymétrie du tronc, appelée gibbosité.Le diagnostic de la scoliose est donc clinique. Elle est confirmée par la radiographie (Référentiel HAS 2008).

 

Diagnostic de la scoliose idiopathique (SIA) :

On ne parle de SIA (Scoliose Idiopathique de l’Adolescent)qu’après avoir éliminé toutes les autres étiologies possibles pouvant être à l’origine d’une déformation rachidienne. L’examen clinique neurologique complet est donc le 1er examen à faire. Il faut explorer le tonus, les réflexes et le testing moteur afin d’éliminer une scoliose neurologique. En cas de syndrome pyramidal ou de déficit moteur, il faudra évoquer une atteinte neurologique,tels que les IMC ou cerebralpalsy[Mallet JF, 2011]. La scoliose peut être symptomatique d’affection neuro-musculaire (myopathies), de troubles de la minéralisation osseuse (ostéoporose, rachitisme), et chez l’adulte, de rhumatisme chronique.

Au moindre doute (syndrome pyramidal retrouvé), il faut faire une IRM rachidienne pour éliminer une lésion tumorale intra ou extra-médullaire, une anomalie vertébrale congénitale (hémi-vertèbre, bloc vertébral se majorant avec la croissance …) ou acquise.

Il faut savoir rechercher, en particulier si la scoliose est douloureuse, une origine inflammatoire ou infectieuse vertébrale. L’examen des membres inférieurs est indissociable de cet examen, afin d’éliminer par mesure, une inégalité de membres inférieurs. Il faut vérifier l’horizontalité du bassin et mesurer les membres (voire faire un orthopangonogramme), pour ne pas traiter une attitude scoliotique … sans traiter les membres.

L’examen clinique est complet permet de pouvoir conclure à une SIA, et d’éliminer une scoliose dite secondaire.

 

Interrogatoire :

A la 1ère consultation, il faut rechercher les circonstances de découverte de la scoliose. La SIA est de découverte fortuite, sur un enfant ou adolescent asymptomatique. Il faut reprendre ses antécédents personnels (dont tout élément pouvant faire suspecter une origine neurologique), et familiaux (scoliose chez la mère, ou chez un frère ou une sœur). La date des 1ères règles est un repère majeur, car cela laisse environ 2 ans de croissance après cette date.

En cas de rachialgies douloureuses, il faut savoir remettre en cause le diagnostic de SIA (Théroux J 2015)

 

L’examen clinique se fait sur un enfant déshabillé (en slip ou culotte), sans chaussure ni chaussette. L’examen doit être méthodique, et se fait en 3 étapes : examen debout, examen assis, examen en décubitus.Il faut une toise, un fil à plomb, un mètre-ruban, un scoliomètre (ou un niveau à bulle), et un podoscope.

 


Scoliomètre

 

Examen debout :

On observe la façon de se déplacer de l’enfant, de se tenir (tonique, hypotonique, vouté …), de dissocier les ceintures. On cherche l’équilibre du bassin, du rachis et la morphologie des membres inferieurs.

On regardera s’il existe une asymétrie faciale, un torticolis, si l’enfant porte des lunettes, s’il existe une asymétrie de la paroi thoracique (thorax en carène ou en entonnoir), le reflet des déviations costales, le morphotype des membres inférieurs (genuvalgum ou varum), la qualité des appuis au sol (pieds plats ou creux). Il faut savoir rechercher un syndrome dysmorphique (maladie plus globale pouvant intégrer la scoliose dans ses signes), ou une atteinte neurologique plus globale. L’état cutané est inspecté, pour éliminer des taches café au lait (neurofibromatose), un kyste pilonidal … cet examen permet de voir une asymétrie des triangles de la taille (« coup de hache ») marquant la déviation du tronc [Villemure, 1999].

On mesure la taille de l’enfant debout, mais aussi assis (taille ente la tête et le siège) : la taille assise reflète la croissance du tronc.On note les signes pubertaires : pilosité, bourgeons mammaires, volume testiculaire (classification de Tanner).

 

Profil - Mesure de la ligne de gravité :

La verticale baissée par le fil à plomb depuis l’oreille (tragus) doit passer en avant du grand trochanter de la hanche. On vérifie que les épines iliaques postéro-supérieures sont bien horizontales. Si ce n’est pas le cas, avant de conclure, il faut équilibrer le bassin avec des cales sous les pieds, de hauteurs différentes mais ajustées, jusqu’à obtenir cet équilibre. L’examen du rachis ne sera réalisé qu’alors.

 

Mesure de l’équilibre de profil :

Le fil à plomb permet aussi de mesurer les courbures sagittales en mesurant l’écart entre la verticale et les reliefs osseux de C7, T8/T9, L3 et S2. Ce sont les flèches, mesurantrespectivement 40mm, 0mm, 35mm, 0cm. On évalue s’il y a un enroulement des épaules, une antéprojection du tronc ou une postériorisation. On évalue l’harmonie des courbes, à la recherche de courbures accentuées (dos creux), diminuées (dos plat), d’effacement ou d’extension des courbures,… voire d’inversion de courbures.

 

Plan frontal - Mesure de l’équilibre:

L’examen se fait au fil à plomb (qui donne la verticale, et donc perpendicularité l’horizontale). Il apprécie l’horizontalité des épaules (déséquilibre, inclinaison scapulaire, décollement scapulaire, reflet de la composante rotatoire), l’horizontalité du bassin (par repérage des épines iliaques postérieures), la verticalité de l’occiput par rapport au pli interfessier.

De dos et de face, on étudie le pli de la taille (les « hanches » de couturière), à la recherche d’un coup de hache, témoin d’une déviation rachidienne.

 

De dos, le fil à plomb est placé sur l’apophyse épineuse de C7. Si le fil à plomb passe par le pli interfessier, on parle de scoliose équilibrée. Sinon, on parle de scoliose déséquilibrée.

 

  

 

Mesure de l’équilibre debout en dynamique :

L’examen clinique s’attache ensuite à rechercher unedéformation de la colonne lors de l’enroulement antérieur du tronc (patient se penchant en avant, mains jointes, jambes tendues, avec pour consigne « d’enrouler son dos, de la tête aux fesses »). Cettedéformation est la gibbosité, traduit une rotation des vertèbres autour de l’axe verticale de la colonne et signe l’existence d’une scoliose vraie. Il faut s’attacher à compter le nombre de gibbosité, leur hauteur, leur localisation (niveau rachidien) et leur étendue pour pouvoir en surveiller l’évolution dans le temps.

Les gibbosités thoraciques et cervico-thoraciques sont mieux visualisées en se mettant à la tête du patient. Pour les gibbosités lombaires et thoraco-lombaires, l’examinateur se met en arrière du patient.



Gibbosité Dorsale Droite

 

Quand le patient se redresse, lentement, on va mesurer par le scoliomètre, ou avec une règle et un niveau à bulle, la hauteur de la ou des gibbosité(s), de part et d’autre de la ligne des épineuses. La ligne de référence est la ligne des apophyses épineuses. En raison de la présence des côtes, la gibbosité sera plus marquée à l’étage dorsal qu’à l’étage lombaire, pour une même angulation (rotation vertébrale). Cette mesure, indispensable, est à répéter lors de chaque suivi de l’enfant. Elle est à réaliser debout, mais aussi assis. Cela supprime le biais des membres inférieurs (et confirme donc une scoliose vraie), et apprécie la souplesse du rachis. Une scoliose « raide » est de moins bon pronostic.La position penchée permet aussi d’évaluer la « souplesse » de la scoliose, en latéral, en essayant « d’ouvrir » la gibbosité. C’est le bending, afin de visualiser la réductibilité.

Enfin, l’ensemble de la souplesse du rachis est testée et évaluée : flexion-extension avec mesure de la distance doigts-sols, de l’indice de Schober, de l’indice de Schöber-Mac Raë, les inclinaisons (distance doigts sol), et en rotation.

 

Examen assis :

Les mesures de gibbosités, de souplesse et la taille sont reprises en position assise. Cette position majore les courbures, et permet de s’affranchir de l’équilibre du bassin.

 

Examen en décubitus :

C’est l’examen neurologique et orthopédique de l’enfant. On évalue aussi le rachis et sa souplesse par un examen à plat ventre, en bout de table.On teste aussi la souplesse rachidienne, la liberté d’enroulement de la ceinture scapulaire, la mobilité de la ceinture pelvienne. On réalise une goniométrie des hanches, genoux et chevilles, et rechercher des rétractions musculo-tendineuses. Une rétraction du droit antérieur est à l’origine d’une antéposition de bassin. La rétraction des ischio-jambiers, est à l’origine d’une rétroposition.

 

Bilan radiologique :

Ce bilan ne fait que confirmer ce qui est observé cliniquement. Un article détaille ce bilan.

La radiographie permet de « chiffrer » la scoliose par mesure de l’angle de rotation et l’inclinaison, et donc d’assurer le suivi dans le temps. C’est l’angle de Cobb. Cependant, cet angle est un des éléments de l’examen et ne se suffit pas : on se peut se baser sur une seule mesure faite dans un seul plan pour suivre cette déformation tridimensionnelle.

 

Intérêt du suivi de l’enfant :

Les scolioses évoluent en général en 3 phases : aggravation lente (qui précède le début de la puberté), aggravation rapide (commence au début de la puberté avec l’apparition des premiers poils pubiens, dure environ 2 ans, et se termine vers Risser 4-5) et une phase de stabilisation qui fait suite à la maturation osseuse et dure toute la vie d’adulte.

 

En pratique, le suivi doit être régulier : en principe, deux mesures espacées de 4 à 6 mois doivent permettre d’affirmer l’évolutivité de la scoliose avant d’entreprendre un quelconque traitement orthopédique. Devant une scoliose découverte tôt, à petit angle, on peut même se permettre d’attendre une troisième mesure pour confirmer la pente évolutive et pallier aux imprécisions de mesure (+/- 3°). Devant une petite scoliose d’une dizaine de degré, de découverte tardive après les premières règles ou Risser 1, le risque évolutif est minime et la surveillance vise surtout à ne pas passer à côté d’une forme secondaire à une cause spécifique.

Dans les scolioses de plus de 20°, découvertes en début de phase pubertaire, a fortiori dans les formes de plus de 30°, le risque évolutif devient majeur et il paraît légitime de discuter un traitement d’emblée, sans attendre une aggravation supplémentaire.

L’HAS recommande en 2008 que « toute scoliose est susceptible de s’aggraver, ce qui impose un suivi régulier ». Même si seules 30% des scolioses évoluent, le suivi tous les 4 à 6 mois est indispensable, avec des clichés lors de chaque changement de corset, ou une fois par an.

L’utilisation de système peu irradiant, tel que l’EOS, permet un suivi radiologique précis.

Le pronostic évolutif d’une scoliose est variable selon différents paramètres : le type de courbure, l’angle de la scoliose et l’importance de la rotation, l’âge de découverte de la scoliose, le couloir de croissance de l’enfant (maturation sexuelle et osseuse), l’existence d’un dos plat à l’examen clinique.

Mais l’examen initial n’est pas prédictif de l’évolution de la scoliose [Kouwenhoven 2008]. Les courbures thoraciques courtes ont un potentiel d’aggravation redoutable, d’autant plus s’il existe un déséquilibre clinique des épaules ou du bassin, un dos creux, et une importante gibbosité.

Il est difficile de chiffrer précisément les risques évolutifs, mais :

-       Scolioses thoraciques : risque d’aggravation de 77%.

-       Scoliose thoraco-lombaires : risque d’aggravation de 67%.

-       Scolioses lombaires : risque d’aggravation de 30% (mais risque évolutif plus prolongé et fort potentiel de dégénérescence arthrosique source de douleurs à l’âge adulte).

-       Scolioses doubles majeures : risques d’aggravation de 66%.

 

Pour conclure :

Une surveillance clinique régulière, bien codifiée et répertoriée, associée à des examens complémentaires réduits au strict nécessaire(radiographie, EOS) doit permettre dans la majorité des cas d’éviter toute surprise évolutive tout en bannissant les traitements inutiles voire abusifs. La surveillance est surtout clinique : la taille assis et debout, les caractères sexuels secondaires, les gibbosités, l’équilibre frontal du tronc, des épaules et du bassin, les flèches sagittales sont étudiés, notés et comparés pour chaque examen réalisé à 6 mois d’intervalle, intervalle que l’on peut réduire à 3 mois en période de poussée pubertaire.

La scoliose idiopathique, qui par définition apparaît pendant la croissance, ne disparaît pas à l’âge adulte : elle persistera toute la vie. Que la scoliose ait été traitée ou non pendant la croissance, il est capital de savoir ce que deviendra la déformation et quelles conséquences éventuelles elle entrainera tout au long de la vie.

L’idéal serait la surveillance régulière et prolongée de toute scoliose dépistée, traitée ou non, mais cela est rarement réalisé. L’épidémiologie des scolioses de l’adulte est mal connue, car seules celles ayant un retentissement ont recours aux consultations spécialisées. Beaucoup d’autres, bien tolérées ou considérées comme telles, échappent à tout contrôle.

 

 

Points forts :

 

La scoliose est une déformation tridimensionnelle irréductible.

Son diagnostic est clinique, sur un enfant déshabillé.

Son caractère idiopathique ne sera affirmé qu’après un examen clinique et neurologique rigoureux.

La prise en charge précoce permet en général un bon contrôle de la scoliose.Le dépistage précoce permet une prise en charge précoce, adaptée.

L’angulation et l’évolution orienteront la prise en charge (kinésithérapie, appareillage, chirurgie).

Le suivi ne sera arrêté qu’à distance de la fin de la croissance.

Pensez à suivre les filles des femmes scoliotiques, en raison du caractère héréditaire.

 

Highlights : suivi d’une scoliose

 

-       AVANT 10 ANS :

On se situe en phase d’évolution lente. La détermination de la pente évolutive nécessite deux voire trois consultations à 6 mois d’intervalle. Si la pente évolutive n’est pas trop menaçante, on poursuivra le suivi clinique tous les 6 mois à 1 an, le suivi radiologique par une téléradiographie de face debout tous les un à deux ans.

Il sera inutile de répéter les clichés de profil car la mesure clinique des flèches sagittales est assez contributive, et les clichés couchés n’ont pas d’implication dans la mise en route d’un traitement.

 

-       APRES 10 ANS :

Il faut dépister attentivement le point P de démarrage de la poussée de croissance pubertaire : courbes de taille assis et debout, examen des caractères sexuels secondaires. Les examens doivent donc être rapprochés : un examen clinique tous les 3 mois si l’on suspecte une forme évolutive, accompagné de radiographies répétées qu’à la lumière de l’examen clinique.

Cette surveillance doit être maintenue tant que le doute sur l’évolutivité de la scoliose persiste.

En pratique, les contrôles (au moins cliniques) sont systématiquement effectués jusqu’aux premières règles – Risser 4. S’il ne s’est rien passé d’inquiétant à cette date, la surveillance est généralement espacée.

 

-       A L’AGE ADULTE :

Il faut se méfier des paliers de croissance parfois observés dans la courbe de taille. Ainsi, la fin de la croissance n’est affirmée que par le début de soudure du cartilage de croissance de la crête iliaque à la partie postérieure (Risser 4).

Une radiographie est réalisée à l’arrêt du traitement et un an après. Dans les cas sévères, proches du stade chirurgical, ce suivi annuel peut être prolongé durant plusieurs années.

Un suivi à distance est ensuite recommandé, à raison d’un examen clinique et radiologique, tous les 5 ans à partir de 25 ans (téléradiographie debout de face et de profil).

Et surtout, suivre les enfants des femmes scoliotiques en raison du caractère héréditaire [Kouwenhoven J 2008, Weistein SL 2008] ….

 

Bibliographie :

 

Jaremko JL, Poncet P, Ronsky J, et al. Indices of torso asymetry related to spinal deformity in scoliosis. Clin Biomech 2002;17:559-68

 

Mallet JF, Bronfen C, Geffard B. les scolioses neurologiques avec bassin oblique de l’enfant et de l’adolescent. E-mémoires de l’Académies Natioanles de Chirugie, 2011,10(1) :020-024

 

Référentiel HAS : scoliose structural évolutive (dont l’angle est égal ou supérieur à 25°) jusqu’à maturation rachidienne. 2008 Février

 

Théroux J, Le May S, Fortin C, Labelle H. prevalence and management of back pain in adolescent idiopathicscoliosis patients: aretrospectivestudy. Pain ResManag 2015;20(3):153-7.

 

Villemure I, Aubin CE, Dansereau J, Petit Y, Labelle H. Ann Chir 1999 ;53(8) :798-807

 

Weinstein S, Dolan L, Cheng J, Danielsson A, Morcuende J. Adolescent idiopathicscoliosis. Lancet 2008;371:1527-37.