Sevrage tabagique



 

Docteur Anne BENARD

 

1.      LA MOTIVATION

Probabilité qu’un individu adhère, s’engage et poursuive une démarche spécifique de changement

 

L’ADHESION ET L’ENGAGEMENT : L’ENTRETIEN MOTIVATIONNEL

L’entretien motivationnel est une technique de communication participative avec un objectif précis préalable à une thérapie

 

L’objectif est de susciter un langage de changement puis un langage d’engagement, véritable expression de l’intention de changer.

 

Le style motivationnel

Il repose sur une écoute du ressenti de l’interlocuteur, sans adhésion ni jugement (attitude empathique)

 

Le questionnement ouvert invite le patient à s’exprimer librement en fonction de ce qui est important pour lui. Le patient peut y répondre par du discours- changement

 

L’écoute réflective permet de montrer  au patient  qu’il est entendu (ton affirmatif)

 

La reformulation

 

La paraphrase soumet une hypothèse sous la forme d’une affirmation (différent d’une interprétation)

 

Le résumé permet de clarifier  en recueillant les données importantes, de mettre l’accent sur les dissonances du discours entre les valeurs et les comportements, qui précèdent le changement (travail sur l’ambivalence)

 

L’entretien motivationnel  évalue la disposition au changement et permet également d’explorer l’importance accordée au changement (degré de divergence entre valeurs et comportement) et la confiance dans la capacité de changer qui est variable en fonction des expériences antérieures, du degré d’estime de soi, des ressources personnelles et sociales

 

On explore l’aptitude au changement de comportement selon les 4 axes suivants :

Désir : qu’est-ce que vous souhaitez ? (voulez ?, désirez ?, espérez ?…)

Capacité : qu’est-ce qui est possible ? (que pourriez-vous faire ? comment vous y prendriez-vous ?)

Raisons : pourquoi feriez- vous ce changement. Quels en seraient les bénéfices ? Quels risques voudriez- vous  voir diminuer ?

Besoin : à quel point ce changement est-il important pour vous ? A quel point avez-vous besoin de le faire ?

 

 

La motivation extrinsèque et intrinsèque : un continuum

 

La motivation extrinsèque est liée à la perception de menaces pour soi, sur le plan de la santé, du travail ou de la famille qui amène à fuir une situation et donc à engager le changement.

Mais elle n’est pas durable dans le temps : en effet, le souvenir des avantages, l’éloignement des inconvénients, peuvent amener à un retour en arrière. Elle joue le rôle de starter, d’impulsion externe.

La motivation intrinsèque est un état d’équilibre tenant compte des attentes et des désirs du patient qui permet de pérenniser le changement en l’intégrant aux valeurs du patient.

 

L’entretien motivationnel  va  permettre de transformer la motivation extrinsèque en motivation intrinsèque qui sera, elle, le moteur. Intégrée comme valeur du patient elle ne sera pas conditionnée par un résultat.

 

 

 

LA DISPOSITION AU CHANGEMENT : MODELE TRANSTHEORIQUE DE PROCHASKA ET DI CLEMENTE

 

 

 

Précontemplation :

Au  stade de précontemplation, le patient n’envisage pas de changer de comportement. Soit il ne voit pas le problème, soit il minimise les conséquences de son comportement. L’élévation de son niveau de conscience des conséquences négatives de son comportement pour lui-même et son entourage familial et professionnel, le développement d’une dissonance entre ce comportement et ses valeurs peuvent l’aider à envisager le changement, c’est-à-dire à passer à l’étape de contemplation. Prendre conscience du problème peut être anxiogène surtout si le patient ne se sent pas confiant pour y faire face. Susciter et renforcer la confiance en soi et le sentiment d’efficacité personnelle facilitent la prise de conscience.

 

Contemplation :

Au stade de contemplation, le patient envisage le changement et doit faire face à son ambivalence. Il peut avoir du mal à trancher entre d’une part les effets cumulés des bénéfices de son comportement actuel et des inconvénients d’un changement, et d’autre part avec les inconvénients de poursuivre, combinés aux avantages d’un changement. Résoudre cette ambivalence est une étape capitale. Pour cela, le patient doit prendre une décision : s’engager vers un changement, ce qui veut dire faire le deuil des avantages de la situation actuelle. Trouver, dans les avantages à changer, des avantages similaires à ceux recherchés à travers son comportement actuel, peut faciliter la prise de décision.

Ce stade concerne 50 à 60 % des patients fumeurs actifs.

 

Préparation :

Au stade de préparation, le patient est décidé et va rechercher comment réaliser « en pratique » son changement. S’appuyer sur des méthodes appropriées, développer les ressources et les habiletés nécessaires, planifier les étapes à mettre en œuvre, vont permettre de s’engager concrètement dans l’action.

 

Action :

Au stade d’action, le changement est engagé, le patient se rend compte des difficultés réelles et du travail nécessaire. Plus que jamais, il a besoin de soutien et d’encouragements. Il affrontera en situation réelle les pièges connus. Il rencontrera des difficultés et des ajustements sont souvent nécessaires pour y arriver.

 

Maintien :

Au stade de maintien, il s’agit de consolider un comportement nouvellement acquis en le faisant perdurer dans le temps. Le patient doit se voir progresser, renforcer ses nouveaux comportements et changer réellement de style de vie. Il doit rester sur ses gardes, éviter un excès de confiance. Il doit être conscient des effets d’une reprise de produit et déjouer des pièges inattendus pour pérenniser les nouveaux comportements.

 

Rechute :

Des incidents de parcours permettent de renforcer les chances de succès lorsqu’ils sont bien négociés. La rechute doit être anticipée pour 2 raisons essentielles. Tout d’abord éviter l’effet « violation de l’abstinence ». La rechute peut être vécue comme un échec, être source de mésestime et de culpabilité amenant à abandonner complètement démarche. Si la rechute est envisagée comme une étape permettant de résoudre des problèmes encore en suspens, elle peut être perçue comme nécessaire afin de réussir le changement. Plutôt qu’une rechute, ce sera alors juste un « faux pas ».

 

 

 

2.      EVALUATION DE LA DEPENDANCE

Elle se fait selon 2 axes : physique et psycho-comportementale

 

Dépendance physique

L’évaluation se fait par le Test de Fagerström  en 10 items notés sur 10 (voir document 1). En pratique quotidienne, il est plus aisé d’intégrer à un entretien le test de Fagerström simplifié en 2 questions noté sur 4 (voir document 2)

 

L’analyseur de CO (ou CO testeur) est utile pour analyser la façon de fumer en mettant en parallèle nombre de cigarettes et taux de CO correspondant attendu. Il permet d’adapter au mieux la dose de substitut nicotinique notamment pour des consommations supérieures à 30 cigarettes ou pour des fumeurs inhalant peu.

 

C’est également un outil pratique  pour donner des informations notamment pendant la grossesse sur l’altération du transport en oxygène via le taux d’HbCO, ou sur la dyspnée d’effort en faisant le lien entre les symptômes  ressentis et les modifications physiologiques.

 

L’intérêt d’une mesure initiale est également de pouvoir la renouveler après quelques jours de sevrage avec un effet renforçateur de la motivation.

 

Dépendance psycho-comportementale

Il est fondamental d’aborder le plus rapidement possible cet aspect de la dépendance car c’est celui qui conditionnera le maintien à long terme.

-          Le test de Horn (document 3)

permet d’identifier et de classer par ordre d’importance les différentes situations liées au tabac.

-          Auto-analyse

consiste à lister les cigarettes fumées en identifiant les émotions et les comportements qui les accompagnent ainsi que les alternatives qui pourraient être mises en place. Elle permet d’amorcer le changement en partant de situations concrètes  et en leur appliquant des alternatives qui amènent un bénéfice similaire.

-          Restructuration cognitive

C’est l’identification puis la correction des pensées automatiques.  L’objectif est d’introduire le doute quant au bien fondé de ces pensées, puis de laisser entrevoir d’autres possibilités. Cet exercice permet « d’assouplir » les schémas et les raisonnements dysfonctionnels.

 

Evaluation de l’anxiété et de la dépression

Le tabagisme apparaît de plus en plus comme un marqueur psychopathologique compte tenu des valeurs sociétales et du phénomène de mode actuels qui iraient plutôt dans le sens de l’arrêt tabac. La maladie dépressive est surreprésentée chez les fumeurs (multipliée par 3). Il est donc nécessaire de surveiller l’évolution de l’humeur chez les patients initialement et au cours du sevrage. Le test de dépistage le plus utilisé est le test HAD qui établit un score pour l’anxiété et un score pour la dépression (document 4)

 

L’augmentation du risque de passage à l’acte est également augmentée chez  les fumeurs ; elle est corrélée  au nombre de cigarettes  fumées  par jour.

 

 

 

3.     LA THERAPEUTIQUE

Les outils disponibles en thérapeutique restent globalement les mêmes, c’est la façon de s’en servir qui a évolué. Certaines croyances notamment au niveau des indications des patchs ont encore la vie dure…

 

On ne retient plus actuellement de contre-indications, les patchs sont prescrits pendant la grossesse (16h/24), et juste après la phase  aiguë de  l’infarctus.

 

Les substituts nicotiniques

Il existe depuis quelques années une diversification des présentations et des dosages permettant d’associer plusieurs formes et de « personnaliser »le traitement :

 

Forme orale patch, forme orale inhaler, patch inhaler….

 

En attente, la commercialisation d’un spray buccal permettant d’obtenir un pic nicotinique rapide.

L’association de plusieurs formes permet  de pallier au délai d’action (d’environ 30mn pour un patch) lorsque le patch n’est pas porté la nuit (par exemple en cas de trouble du sommeil sous patch). Le délai d’action d’une forme orale est de 5 à 10 mn. La forme orale peut aider sur un plan comportemental à élaborer de nouveaux rituels, elle rassure par sa rapidité d’action ce qui peut en faire un traitement « d’urgence » à portée de la main. Il est important d’ajuster  au mieux  la dose de la substitution qui dépend de la consommation (80 à 100% en mg de la dose fumée en nombre de cigarettes), la persistance de signe de manque en début de traitement est  en effet un facteur d’échec précoce.

 

L’ensemble des substituts, mais particulièrement  les formes orales  par leur maniabilité permettent dans certains cas où la motivation repose essentiellement sur une indication médicale de faire une première étape de diminution avant l’arrêt : cette étape peut être « anxiolytique », rassurante et encourageante pour le patient.

 

Un comprimé à la nicotine est égal à une cigarette, on peut alors fixer un calendrier de décroissance sur quelques semaines. Pour des raisons diverses, cette réduction de consommation  peut également se faire avec des patchs, moins maniables.

 

On peut alors, dans une certaine mesure, parler de « consommation contrôlée » moyennant le traitement substitutif. Cette situation  intermédiaire peut néanmoins être difficile à maintenir dans le temps.

 

La Varénicline

C’est un analogue des principaux récepteurs cérébraux à la nicotine. Le traitement est séduisant car il permet au départ de maintenir une consommation de cigarettes et d’entrer progressivement dans un statut d’ex-fumeur ce qui suppose malgré tout de mettre en place des changements de comportement. Du fait de la saturation des récepteurs par la Varénicline, les cigarettes fumées deviennent beaucoup moins renforçatrice ce qui facilite l’abandon du produit.

 

Actuellement, ce traitement est déremboursé, par décision de l’AFSSAPS en raison d’une possible interaction avec un comportement suicidaire ; Il est donc recommandé actuellement de ne pas l’utiliser en 1ère intention, de tenir compte des comorbidités anxiodépressives et des antécédents suicidaires. La surveillance des patients en cours de sevrage comprend habituellement une évaluation de l’humeur et des attitudes suicidaires, celle-ci s’applique par conséquent aux patients sous varénicline.

 

Le Bupropion

Ce traitement est actuellement peu utilisé : ses nombreuses contre-indications et effets indésirables en font un médicament de dernière ligne.

 

Autres

-Acupuncture : la preuve de l’efficacité ne peut être scientifiquement démontrée mais il est probable qu’elle puisse être utile en traitement d’appoint.

 

-e-cigarette : proposée aux fumeurs qui veulent réduire leur consommation, entamer un sevrage tabagique, fumer plus « safe », ou pouvoir fumer dans les lieux publics. Elles contiennent une batterie et un système électronique qui permet la production de vapeur chaude qui peut contenir de la nicotine. On y retrouve aussi d’autres composants. Des analyses pharmacocinétiques ont démontré que la  e-cigarette délivre 10% de  nicotine par puff par rapport à la Marlboro classique. Le pic de nicotine est atteint plus rapidement qu’avec l’inhaler, mais les taux sanguins sont moindres. Certains systèmes contiennent du propylène glycol (PEG). Ce solvant peut exposer le cerveau à des effets proches de l’état d’ébriété. Des dérivés terpéniques, du menthol, des traces de mercure et d’acétaldéhydes ont été retrouvés. Les processus de contrôle avant commercialisation de ces produits sont inconsistants ou inexistants. On sait peu de choses de la sécurité  à long terme ce qui en fait un système peu fiable.

 

Actuellement l’approche motivationnelle et la combinaison des différents traitements permet de proposer une prise en charge de plus en plus personnalisée à l’écoute du rythme du patient. La priorité est à l’établissement d’une alliance thérapeutique qui permettra de travailler sur la durée et de se servir de chaque évènement positif ou négatif pour avancer avec  le patient en démarche de sevrage

 

 

Références :

 

-          Pratique de l’entretien motivationnel  Stephen Rollnick, William R.Miller, Christopher C. Butler InterEditions

-          Journal de Thérapie Comportementale et Cognitive. Légeron P. ; Azoulaï G. ; Lagrue G. et coll 2001, vol 11 n°2 p53-61

-          Bénéfices et pertes  lors de l’arrêt du tabac. R.Mollimard,  Le courrier des addictions (9) n°3 juillet-aout-septembre 2007

-          Les échecs du sevrage tabagique : analyser les facteurs d’échec et prévenir les rechutes. La revue du Praticien Médecine Générale 2009 vol 23 n°824 p435-439

-          www.tabac-info-service.fr . Professionnels de santé ; Fiches d’aide téléchargeables

 

Document 1

 

Document 2

 

Test de Fagerström simplifié

 

 

Combien de temps après votre réveil fumez-vous votre première cigarette ?

 

Dans les 5 premières minutes       3 p

Entre 6 et 30 minutes                   2 p

Entre 31 et 60 minutes                 1 p

Après 60 minutes                         0 p

 

 

Combien de cigarettes fumez-vous par jour ?

 

10 ou moins                                  0 p

11 à 20                                         1 p

21 à 30                                         2 p

31 ou plus                                     3 p

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Document 3


 

STIMULATION : a g m =

PLAISIR DU GESTE : b h n =

RELAXATION : c i o =

ANXIÉTÉ - SOUTIEN : d J p =

BESOIN ABSOLU : e k q =

HABITUDE ACQUISE : f l r =

 

 

 

 

Document 4


 

INTERPRÉTATION :

POUR L’ANXIÉTÉ :

Additionner les points des réponses 1, 3, 5, 7, 9, 11 et 13

Total A =

POUR LA DÉPRESSION :

Additionner les points des réponses 2, 4, 6, 8, 10, 12, 14

Total D =

Pour dépister des symptomatologies anxieuses et dépressives, l’interprétation suivante peut

être proposée pour chacun des scores A et D :

7 OU MOINS : Absence de symptomatologie

8 À 10 : Symptomatologie douteuse

11 ET PLUS : Symptomatologie certaine