Syndrome de Raynaud

Docteur Marc LAMBERT

Clinique de médecine interne

Hôpital Roger Salengro
CHRU

59037 LILLE Cedex

 

 

C’est Maurice RAYNAUD qui, au 19è siècle, décrivait pour la première fois le phénomène qui portera son nom. Il s’agit d’un acrosyndrome vasculaire paroxystique touchant environ 4% de la population générale en particulier les femmes. Il est la conséquence d’un spasme des artères des extrémités aussi bien aux mains qu’aux pieds, favorisé par le froid voire le stress. Le challenge pour le clinicien, face à un phénomène de Raynaud, est d’identifier s’il est primitif ou idiopathique, et donc sans conséquence majeure pour le patient. S’il est secondaire à une pathologie sous jacente, il nécessite une prise en charge spécifique et un dépistage d’autres atteintes de la maladie sous jacente.

 

Le fil rouge du diagnostic du phénomène de Raynaud est basé sur la conduite d’une consultation sans recours à des examens particulièrement complexes. En effet, il faut dans un premier temps caractériser le phénomène de Raynaud qui peut comporter toutes ou l’une des 3 phases classiques : la phase syncopale caractérisée par la vasoconstriction et donc l’aspect blanc, ivoire, des doigts suivie d’une phase asphyxique, cyanique, les doigts prenant alors un aspect cyanotique, se terminant enfin par la phase érythermalgique où à l’occasion de la reperfusion, on note une érythrocyanose rouge, douloureuse, avec sensation de brûlure.

 

Ce qui définit le phénomène de Raynaud est son caractère paroxystique et, ni la sévérité, ni la fréquence ne permettent d’orienter vers une cause dite secondaire. Un interrogatoire permettra de retracer l’historique du phénomène de Raynaud qui, s’il apparaît vers l’adolescence, a déjà touché des ascendants dans la famille, est bilatéral, épargne les pouces, apparaît comme primitif ou idiopathique, en général chez la femme. D’autres éléments de l’interrogatoire sont extrêmement pertinents que ce soit l’absence de symptôme clinique au niveau des mains, entre les crises, que ce soit une douleur, une froideur. Il est indispensable de rechercher un facteur favorisant en particulier médicamenteux, comme la prise de bêtabloquant, d’antimigraineux… Le facteur occupationnel telle qu’une activité professionnelle avec utilisation d’engins vibrants ou de traumatismes répétés de l’éminence hypothénar sont des éléments favorisant le phénomène de Raynaud dit professionnel ou occupationnel. Une activité plus anecdotique comme la pelote basque, la pratique intensive du VTT ou même du skate board peuvent être à l’origine de traumatismes des ramifications vasculaires artérielles de la main. L’interrogatoire enfin s’efforcera de retrouver des signes évocateurs de maladies systémiques, que ce soit des arthralgies, un syndrome sec, des douleurs musculaires…

 

L’examen clinique commencera par l’examen attentif de la main à la recherche d’une part des conséquences d’une ischémie chronique digitale, que ce soit une cyanose douloureuse, des nécroses, des cicatrices de nécrose, des stries hémorragiques sous unguéales voire un ptérygium inversus unguis (épaississement de la couche cornée sous unguéale lié à l’ischémie chronique de la matrice). La recherche d’un épaississement du derme, le constat de doigts boudinés et fuselés, de télangiectasies, voire de mégacapillaires péri-unguéaux orientera vers la sclérodermie. L’examen régional, EN PARTICULIER FACE A UN PHENOMENE DE RAYNAUD UNILATERAL, devra évaluer le réseau vasculaire d’une part par la manœuvre d’Allen qui, en empêchant l’afflux de sang artériel par la compression de l’artère radiale et de la cubitale, et par l’évacuation du sang veineux par la vidange de la main (en fermant de façon répétitive le poing) permettra, en relâchant alternativement l’une des deux artères, d’évaluer la perfusion distale, permettant ainsi de constater par exemple une thrombose de l’artère cubitale, un déficit de l’arcade palmaire, des thromboses des artères inter-digitales qui seront évoquées face à un retard de reperfusion digitale. En remontant sur l’axe vasculaire du MS, il sera intéressant de prendre le pouls huméral puis la tension artérielle aux deux MS afin de rechercher une sténose sur l’une des deux artères sous-clavières. Les pouls périphériques aux MI seront bien sûr recherchés.

 

Après avoir réalisé cet examen clinique à visée vasculaire, la synthèse clinique mettra en perspective d’une part les symptômes observés, d’autre part les étiologies à envisager. Le phénomène de Raynaud iatrogène sera donc bien sûr évoqué très rapidement dès l’interrogatoire de même que les causes professionnelles de par une enquête extrêmement rigoureuse sur l’utilisation prolongée d’engins vibrants qui suggèrera une maladie des vibrations, maladie professionnelle reconnue, ou que ce soit des traumatismes répétés de l’éminence hypothénar permettant d’évoquer le diagnostic du syndrome du marteau hypothénar. Dans ce contexte bien particulier, une artériographie des MS reste de mise, permettant de confirmer les lésions distales en particulier sur l’artère cubitale qui n’est pas toujours anévrismale et qui peut simplement être le siège d’une thrombose.

 

Les maladies systémiques seront reconnues par l’examen clinique, que ce soit l’examen de la main pour la sclérodermie. L’évaluation d’une éventuelle atteinte pulmonaire, digestive sera alors indispensable. La recherche d’un syndrome sec à l’interrogatoire permettra d’envisager le diagnostic de syndrome de Gougerot-Sjögren. Enfin, 3 autres pathologies peuvent accompagner le phénomène de Raynaud, que ce soit le syndrome de Sharp associant des polyarthralgies, un aspect boudiné des doigts ; la dermatomyosite associant des douleurs musculaires et un érythème photodistribué et enfin le lupus érythémateux disséminé associant arthralgies, éruption photodistribuée, et une atteinte plus systémique. La maladie de Buerger devra être systématiquement évoquée chez un patient de moins de 40 ans, tabagique, présentant un phénomène de Raynaud, une artérite sous gonale des deux MI et des phlébites superficielles. Le syndrome du défilé thoraco-brachial devra être systématiquement recherché par la manœuvre des chandeliers qui vise à élever les deux MS, manœuvre sensibilisée par l’inspiration profonde, la rotation du côté homolatéral à l’artère sous-clavière auscultée. En effet, la réduction de la pince costo-claviculaire peut être à l’origine de sténose fonctionnelle de l’artère sous-clavière avec comme retentissement le développement d’un anévrisme post-sténotique et des micro-embols distaux caractérisant le mécanisme physiopathologique du phénomène de Raynaud sur défilé thoraco-brachial.  Tout ceci se caractérisera cliniquement par le phénomène de Raynaud, une claudication des membres supérieurs voire simplement une lourdeur à l'élévation des bras.

 

D’autres étiologies doivent être évoquées, que ce soit les anomalies du contenu tels que les syndromes myéloprolifératifs, les syndromes d’hyperviscosité, le syndrome des antiphospholipides, les anomalies du contenant telles que les artériopathies qu’elles soient athéromateuses ou inflammatoires des gros troncs des membres.

 

Le bilan biologique comprendra au minimum une NFS à la recherche d’éléments en faveur d’une hyperviscosité, la recherche d’anticorps antinucléaires pour les maladies systémiques. Une capillaroscopie devra être systématiquement réalisée. La présence d’anticorps antinucléaires et/ou une capillaroscopie positive conditionneront en effet le pronostic en terme de développement d’une maladie systémique. Il faudra suivre le patient pendant une période minimale de 2 ans avant de pouvoir exclure toute pathologie systémique sous jacente.

 

Deux diagnostics différentiels doivent être évoqués face à un tableau d’acrosyndrome paroxystique ; d’une part l’acrocyanose qui est caractérisée par un acrosyndrome cyanotique permanent des 4 extrémités, non douloureux, ne se compliquant jamais de nécrose digitale avec des mains froides et une hypersudation fréquente. Si le pronostic esthétique est mauvais, le pronostic fonctionnel est excellent. Le 2è diagnostic différentiel est l’érythermalgie qui s’inscrit totalement en opposition avec le phénomène de Raynaud puisqu’elle survient au chaud, touche essentiellement les pieds, se caractérise par un érythème, est douloureuse au chaud, est améliorée par le froid. Cette pathologie très particulière est le plus souvent liée à des phénomènes d’hyperviscosité et justifie absolument d’éliminer un syndrome myéloprolifératif.

 

Sur le plan thérapeutique, en dehors du traitement des causes locales, le traitement reposera essentiellement sur les vasodilatateurs artériels en particulier les inhibiteurs calciques associés bien sûr à une protection contre le froid avec double paire de gants, protection des avant-bras, du cou et bien sûr des MI.

 

Manœuvre d’Allen : www.cma.ca/index.cfm/ci_id/10036166/la_id/2.htm